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Channel: Granby – Société d'histoire de la Haute-Yamaska
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Les frères maristes et l’éducation des garçons

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La communauté des frères maristes est fondée en France en 1817 « dans le but d’enseigner, d’éduquer et de donner une instruction élémentaire dans les petites écoles ». Première communauté enseignante masculine à s’installer en région, au tournant des années 1890, les Maristes prodiguent un enseignement voué aussi bien à la formation des futures élites canadiennes-françaises du commerce et de l’industrie qu’à l’éducation élémentaire des plus humbles travailleurs, comme le montre l’établissement d’une école du soir à l’intention des Granbyens analphabètes.

classe de garçon de l’école Saint-Bernardin de Waterloo

© Une des classes de l’école Saint-Bernardin. ( Archives Société d'histoire de la Haute-Yamaska)

Les Maristes s’installent au Québec en 1885 à la requête de Mgr Zéphirin Moreau, évêque de Saint-Hyacinthe. Quatre ans plus tard, J.-C. Bernard, curé de Saint-Bernardin et président du syndic d’école de Waterloo, s’adresse au provincial des frères maristes pour lui demander trois religieux pour prendre en charge l’école primaire des garçons, dirigée depuis 1885 par les Sœurs des Très-Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie.

La deuxième école de garçons de Waterloo, construite en 1924. (© Fonds Ronald Parisien, SHHY)

© La deuxième école de garçons de Waterloo, construite en 1924. (Fonds Ronald Parisien, SHHY)

Le mois suivant la réouverture de l’école sous la direction des frères, en septembre 1889, l’inspecteur Ruel ne tarit pas d’éloges sur l’enseignement qu’ils y professent. En 1894, l’école compte 108 élèves, dont 28 en première année, 36 en deuxième et 44 en troisième.

À Granby, c’est en 1890 que les frères s’installent dans le tout nouveau collège bâti par les Syndics, sur la rue Saint-Joseph. La mission éducative qu’ils y poursuivent est plus étendue qu’à Waterloo, puisqu’on leur remet aussi la responsabilité de l’éducation supérieure des garçons catholiques. L’entente qui lie les deux parties stipule qu’en retour de la propriété du collège, les frères maristes s’engagent à donner un cours commercial et industriel complet, « français et anglais sur le même pied », et à établir un pensionnat à leurs risques. Ils devront aussi enseigner à l’élémentaire dans un local du collège, ce pour quoi ils recevront 400 $ par année de la commission scolaire.

Le collège Saint-Joseph fut dirigé par les frères Maristes de 1890 à 1911.

© Le collège Saint-Joseph fut dirigé par les frères maristes de 1890 à 1911. Il était situé rue Saint-Joseph, à l’emplacement du Cégep de Granby-Haute-Yamaska. (Fonds Germain Fortin, SHHY)

Le collège Saint-Joseph ouvre ses portes en septembre 1890 avec 245 élèves, répartis en cinq classes. En 1906, 16 frères enseignent à 400 élèves, dont seulement 47 sont pensionnaires. Le programme d’étude proposé par les Maristes est moderne et varié : commerce, télégraphie, dessin ornemental et géométrique, physique et chimie, arpentage sur le champ, formation littéraire et artistique, musique théorique et pratique, entre autres matières.

L’implication des Maristes dans la société granbyenne est remarquable. Ils participent, par exemple, à la vie culturelle en aidant les jeunes du Club franco-canadien à produire des spectacles. Dans le but d’améliorer la formation des ouvriers, ils fondent aussi une École d’arts et métiers au début des années 1890. Mais leur plus grande réalisation demeure incontestablement la mise sur pied d’une École du soir, en novembre 1906, pour lutter contre l’analphabétisme. Dès l’ouverture des cours, une centaine d’étudiants s’y inscrivent; à la surprise générale, peu d’entre eux auront abandonné leurs études après les cinq mois réglementaires. La commission scolaire catholique, enthousiasmée par tant de succès, fournira dès l’année suivante aux frères maristes le local, le chauffage et l’éclairage. Avec 111 inscriptions à l’automne 1907, l’École du soir est devenue « le grand sujet de conversation dans notre classe ouvrière », indique le Journal de Waterloo. En avril 1908, lors de la distribution des prix marquant la fin des cours, plusieurs élèves, analphabètes au départ, ont pu lire, sous les applaudissements de la foule, des textes en français et en anglais.

« Souvenir de la 1er année de la fanfare du collège St-Joseph dirigée par les frères Maristes à Granby »

© « Souvenir de la 1re année de la fanfare du collège St-Joseph dirigée par les frères Maristes à Granby » (Fonds Harmonie de Granby, SHHY)

L’expérience d’enseignement des frères maristes à Granby allait se terminer tragiquement. Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1911, au cours de la période des vacances d’hiver, un incendie rase le collège et emporte dans la mort le frère Marie-Léoncien. Le collège Saint-Joseph en ruines, 530 élèves se retrouvent sans maison d’éducation. Pour ajouter à l’infortune, des désaccords surgissent entre la commission scolaire et les Maristes à propos du pensionnat et des conditions de la réouverture. D’un commun accord, mais avec un peu d’amertume de la part des frères, on préfère résilier l’entente de 1890. Les commissaires, qui doivent réagir rapidement, se tournent alors vers les Frères du Sacré-Cœur, qui acceptent les conditions refusées par les Maristes et reprennent en main l’éducation des garçons catholiques en septembre 1912.

© Les ruines du collège Saint-Joseph. (Archives Société d'histoire de la Haute-Yamaska)

En 1953, sous la pression d’anciens élèves, les frères maristes reviennent à Granby pour prendre en charge les écoles primaires Saint-Benoît et Notre-Dame de Fatima et l’externat Mgr Prince. Relevant directement du séminaire de Saint-Hyacinthe, l’externat permettait aux garçons de Granby de suivre les quatre premières classes du cours classique, éléments latins, syntaxe, méthode et versification. Pour les frères, il s’agissait en quelque sorte d’un retour aux sources.

Le collège Mgr Prince rue Dufferin à Granby. (© Fonds Valère Audy, SHHY)

© Le collège Mgr Prince rue Dufferin à Granby, vers 1956. (Fonds Valère Audy, SHHY)

Mario Gendron

 


Quand le peuple se fait justice

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En 1871, un groupe de citoyens de Granby prend l’initiative d’exercer des représailles dignes du Far West à l’encontre d’un voyageur soupçonné d’indécence. Cet événement exceptionnel mobilise l’attention de la presse et du public et illustre toute la difficulté d’exercer la loi dans un village où les forces de l’ordre sont inexistantes, la création de la police municipale de Granby datant de mai 1880. Pour autant, les autorités judiciaires du district de Bedford n’entendent pas laisser la population se faire justice elle-même, comme cela se passe souvent dans l’Ouest américain, où les redresseurs de torts des régions sauvages jouissent d’une impunité totale.

Le palais de justice du district judiciaire de Bedford à Cowansville.

© Le palais de justice du district judiciaire de Bedford à Cowansville. (Fonds Paul-O Trépanier, 1954, SHHY)

John Mills est un correspondant du Globe de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, qui parcourt le pays, s’arrêtant dans les villages pour faire des lectures à l’intention d’un public toujours en quête de divertissement. À Granby, qui compte près de 900 habitants en 1871, dont la moitié est anglophone, Mills prévoit se produire à l’hôtel de ville le vendredi 1er septembre au soir. Or, plus tôt cette journée-là, la rumeur se répand que le voyageur lecteur se serait rendu coupable de certaines familiarités avec des jeunes filles. Plus le jour avance, plus la rumeur grossit, si bien que le soir venu, une partie de la population se trouve dans un état d’excitation avancé. Une vingtaine d’hommes, menés par quelques notables, Samuel Butterworth, Alonzo Griggs, le docteur David Green et Samuel Vilas, décident alors de punir et de chasser l’indésirable de Granby. Les justiciers improvisés conviennent d’intervenir après que Mills ait débuté sa lecture, considérant sans doute que cela faciliterait sa capture; mais, conséquence de leur irruption bruyante dans le hall de l’hôtel de ville, l’homme réussit à s’échapper et à se réfugier dans une maison du bas du village, où on le rejoint et l’en expulse. En proie à la vindicte populaire, Mills est alors roué de coups, dénudé, enduit de goudron et de plumes, puis, malgré ses cris et ses supplications, exhibé dans la rue Principale.

Magasin Savage, Granby

© La magasin Savage vient d'être construit au moment où se déroulent les événements. (Fonds Ellis Savage, ca 1900 SHHY)

Le maire J.G. Cowie, alerté par le tumulte, décide courageusement d’intervenir en faveur de Mills, dont certains commencent à craindre qu’il ne soit mis à mort. Armé de la seule autorité que lui confèrent ses titres de maire et de juge de paix, usant de persuasion mais aussi de menaces, J.G. Cowie négocie sans relâche avec les ravisseurs jusqu’à ce qu’ils libèrent leur victime. L’émeute risquant de reprendre à tout moment, le maire prend alors l’initiative de verser 25 $ à Mills et de le faire accompagner à Saint-Pie dans les plus brefs délais. Aussitôt le calme revenu, plusieurs citoyens respectueux des lois, témoins silencieux de cette terrible affaire, réclament une sanction pour les comportements des émeutiers, n’hésitant pas à les comparer à ceux du Klu Klux Klan, la tristement célèbre organisation suprématiste blanche fondée en 1865 dans le sud des États-Unis.

Cellule du palais de justice-prison de Cowansville

© Cellule du palais de justice-prison de Cowansville. (Fonds La Voix de l'Est, photo Alain Dion, 1991, SHHY, )

Les quatre meneurs présumés du rapt sont arrêtés et emprisonnés à Sweetsburg (Cowansville), où leur procès a lieu moins de deux semaines après les événements. Ces derniers ayant plaidé coupables aux accusations qui pèsent contre eux, le juge Samuel Willard Foster peut rendre immédiatement son jugement. «En raison de votre inqualifiable et honteuse conduite, c’est tout le village de Granby qui est tombé en disgrâce», dit-il en préambule. Le juge rejette ensuite les arguments des accusés voulant que le maire Cowie ait agi de façon illégale, le félicitant plutôt d’être intervenu de manière énergique, sauvant ainsi non seulement la vie de John Mills, mais évitant peut-être, par le fait même, la pendaison aux accusés. Au passage, le juge Foster déplore que plusieurs notables de Granby, dont des ecclésiastiques, aient déposé une pétition à la Cour afin que les accusés soient exemptés de tout blâme, une démarche inutile d’ailleurs, ces derniers s’étant déclarés coupables.

Samuel Willard Foster

© Le juge Samuel Willard Foster. (Erastus G. Pierce, Men of Today in the Eastern Townships, Sherbrooke, p. 163)

Reprenant le fil des événements qui ont conduit à l’un des «crimes les plus disgracieux et dangereux connus», le juge s’attarde à souligner la cruauté des accusés, restés insensibles aux suppliques de Mills, et les condamne pour s’être autoproclamés policiers, juges et bourreaux, enlevant ainsi à leur victime le droit inaliénable d’être jugé devant les tribunaux, un droit «dont les prévenus eux-mêmes profitent aujourd’hui», ajoute le magistrat.

Mais comme il s’agit pour eux d’une première offense, le juge Foster considère comme excessif d’infliger aux quatre hommes la disgrâce de l’emprisonnement et les condamne plutôt à une amende d’un peu plus de 30 $ chacun, assortie d’une garantie de 1 500 $ de garder la paix pour un an, une somme considérable pour l’époque. La dernière recommandation du juge Foster est sans équivoque quant à la principale faute des condamnés : «Par-dessus tout, n’oubliez jamais que nul n’a le droit d’exercer lui-même justice». Quant au journaliste John Mills, aucune accusation ne sera jamais portée contre lui.

Mario Gendron

Vivre en prison au XIXe siècle, Chantal Lefebvre

Vivre en prison au XIXe siècle (suite), Chantal Lefebvre

Une Granbyenne, première dame du Canada

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Isabel Cox Meighen, en 1910. (William James Topley/Library and Archives Canada/PA-169229)

Isabel Cox Meighen, 1883-1985 (Bibliothèque et Archives Canada www.collectionscanada.gc.ca Meighen (Mrs. Arthur))

Parmi ceux qui s’intéressent à l’histoire régionale, bien peu savent  qu’une de nos concitoyennes a été l’épouse du neuvième premier ministre du Canada, Arthur Meighen. Jessie Isabel Cox, dont il s’agit, est née à Granby South Ridge le 18 avril 1883. Elle était la nièce du célèbre écrivain et illustrateur Palmer Cox, créateur du petit monde des Brownies, ces lutins espiègles dont les aventures ont captivé les enfants anglophones des années 1880-1920. Sans doute inspirée par son oncle qui, dans sa tendre jeunesse, avait quitté Granby pour l’Ouest américain, Isabel Cox, dès ses études complétées, s’expatrie au Manitoba pour exercer le métier d’enseignante dans un petit village nommé Birtle. C’est là qu’elle fait la rencontre d’Arthur Meighen, un jeune avocat qui possède un cabinet à Portage-la-Prairie. Ils se marieront à Birtle, en juin 1904.

Né le 16 juin 1874 près d’Anderson, en Ontario, Arthur Meighen obtient un diplôme d’enseignement en 1897, avant de devenir avocat en 1903. Sa carrière en droit l’amène à s’intéresser aux affaires immobilières et à s’impliquer en politique fédérale avec le Parti conservateur. En 1908, il se fait élire dans Portage–la–Prairie et devient député de l’opposition, alors dirigée par Robert Laird Borden. À la suite de la victoire électorale des conservateurs, en 1911, et du déclenchement de la Première Guerre mondiale, trois ans plus tard, Meighen se voit confier des responsabilités politiques de plus en plus importantes. Ainsi, c’est à lui que le premier ministre Borden confie, en 1916, le délicat mandat de rédiger et de défendre au Parlement le projet de loi touchant le service militaire obligatoire, c’est-à-dire la conscription, une mesure qui devait rendre impopulaire le parti conservateur au Québec, et ce, pour longtemps.

Arthur Meighen, 1920. (Bibliothèque et Archives Canada www.collectionscanada.gc.ca)

Sa santé déclinant, Borden annonce sa démission en juillet 1920 et Arthur Meighen est aussitôt désigné comme son successeur en raison de ses états de service au sein du parti et du  gouvernement. Le 10 juillet 1920, ce dernier devient donc premier ministre du Canada sous la bannière d’un parti de coalition, le Parti libéral et conservateur national. On rapporte que l’accession au titre de première dame du Canada ne fit pas grande impression sur Isabel Cox-Meighen. Ainsi, le soir de la nomination de son mari, elle s’amusait encore avec ses enfants tout en recevant quelques amis, comme elle avait coutume de le faire. « Il n’y a pas grand-chose à dire de ma personne », répondit-elle candidement au journaliste venu récolter ses premières impressions. « Je suis aujourd’hui comme je l’étais hier, mais peut-être que je ne réalise pas encore le grand honneur qui m’échoit », finit-elle par admettre.

Au cours de l’été et de l’automne 1920, le couple Meighen entreprend une grande tournée à travers le pays afin de consolider les assises du parti de coalition. C’est dans ce contexte qu’Isabel Cox et son époux se rendent dans les Cantons-de-l’Est, à la fin du mois de septembre, faisant des arrêts à Sherbrooke, Magog, Cowansville, Knowlton, Waterloo et Granby. Cet événement hors du commun crée un véritable émoi au sein des communautés anglophones de Waterloo et de Granby, d’autant plus que le Granby Leader-Mail, d’obédience conservatrice, se fait un devoir de rapporter tous les faits et gestes du couple comme s’il s’agissait de têtes couronnées. Des journalistes du Montreal Gazette, du Montreal Star, du Toronto Star et du Sherbrooke Record accompagnent aussi le premier ministre Meighen dans sa tournée. La veille de son arrivée à Granby, étape ultime de leur voyage, le premier ministre indique qu’il est très heureux de se retrouver dans la ville natale de son épouse, qu’il nomme affectueusement Nan, et qu’il connaît l’endroit pour l’avoir visité lors de son voyage de noces, en 1904.

Palmer Cox

Le célèbre écrivain et illustrateur Palmer Cox, créateur du petit monde des Brownies. (Fonds Palmer Cox, SHHY)

À Granby, la soirée tenue en l’honneur du premier ministre se déroule à l’hôtel de ville.  Tous les notables ont été conviés à l’événement et bien peu d’entre eux ont osé refuser l’invitation. Cependant, contre toute attente, le moment fort de ce rassemblement ne fut pas le discours d’Arthur Meighen ou celui du maire de la ville, Ernest Boivin, mais bien l’intervention impromptue de madame Meighen qui, apercevant son oncle, l’écrivain et illustrateur de renom Palmer Cox, discrètement installé dans le fond de la salle, s’empara du micro et convia ce dernier à venir s’asseoir à la table d’honneur. Un peu surpris, le grand vieillard céda finalement aux applaudissements de la foule ; par son geste gracieux, la première dame du pays venait de conquérir tous les cœurs.

En juin 1921, Meighen se rend avec son épouse à la Conférence impériale, à Londres, peu avant de perdre le pouvoir aux mains du libéral William Lyon Mackenzie King. Lors des élections suivantes, qui se tiennent en 1925, les conservateurs de Meighen renouent avec la victoire en remportant le plus grand nombre de sièges, mais leur règne ne dure que quelques mois (voir René Beaudin, L’Historien régional, volume 6, no.3, été 2006).

À la suite de ce revers, Meighen décide de quitter la direction du Parti conservateur pour retourner au monde des affaires, s’installant à Toronto avec sa femme et leurs trois enfants. Toutefois, il ne délaisse pas complètement la politique, devenant même leader du gouvernement au Sénat en 1932. Après le retrait définitif de la vie politique d’Arthur Meighen, qui coïncide avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale,  le couple Cox-Meighen vivra une paisible retraite, jusqu’au décès de l’ancien premier ministre des suites d’une courte maladie, en 1960. Quant à Isabel Cox, elle survit vingt-cinq ans à son mari, décédant à l’âge vénérable de 102 ans, en 1985. Détail intéressant, un des petits-fils du couple, Michael Meighen, reprendra le flambeau politique en tant que collecteur de fonds pour les progressistes-conservateurs et comme proche conseiller et ami personnel de Brian Mulroney, premier ministre du Canada de 1984 à 1993. Ce dernier, d’ailleurs, le nommera sénateur en 1990.

René Beaudin

Président de la Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Granby et la conscription

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Ce printemps marque le 70e anniversaire du plébiscite sur la conscription, tenu de 27 avril 1942. Ce vote historique montre de manière éloquente le fossé qui sépare les Canadiens français de la population anglophone sur la question de la participation obligatoire des Canadiens à la Deuxième Guerre mondiale. Granby, où environ 15 % de la population est anglophone, se révèle un bon terrain d’analyse pour quiconque s’intéresse à cet événement historique. MG

Association des retraitants catholiques

Membres de l'Association des retraitants catholiques de Granby. (Album souvenir de la paroisse Notre-Dame, 1936)

Lorsque la Deuxième Guerre mondiale s’enclenche, en septembre 1939, c’est depuis 1937 déjà que les associations canadiennes-françaises de Granby — Association des retraitants catholiques, Chambre de commerces des jeunes, Chevaliers de Carillon, Association catholique de la jeunesse canadienne, entre autres — militent activement contre toute participation militaire du Canada à un conflit extérieur. Cette attitude isolationniste tient à plusieurs causes, parmi lesquelles le douloureux souvenir de la crise de la conscription de 1917, au cours de la Première Guerre mondiale, et le sentiment que le Canada,  « pays d’Amérique, n’a aucun intérêt à épouser les querelles de l’Europe » arrivent en tête de liste.

Les autorités fédérales ne peuvent ignorer la position réfractaire des Canadiens français. Aussi, lorsque la Deuxième Guerre mondiale débute, Ottawa n’a-t-il d’autre choix que de limiter ses ambitions mobilisatrices à la défense volontaire du territoire canadien. C’est d’ailleurs grâce à cette promesse que les libéraux de Mackenzie King garderont leurs sièges au Québec et le pouvoir à Ottawa lors des élections de 1940.

La Voix de l'Est, 8 avril 1942

Mais pressé par une opinion publique canadienne-anglaise qui s’alarme des bombardements sur Londres et réclame le service outre-mer obligatoire, le gouvernement King ne peut tenir sa position. Croyant dénouer l’impasse, Ottawa organise un plébiscite à travers le Canada pour le 27 avril 1942. Si les citoyens canadiens votent « oui » à la question « Consentez-vous à libérer le Gouvernement de toute obligation résultant d’engagements antérieurs restreignant les méthodes de mobilisation pour le service militaire ? », Ottawa aura les mains libres pour imposer la conscription.

Le plébiscite sur la conscription révèle au grand jour les opinions diamétralement opposées des francophones et des anglophones du Canada sur l’obligation de combattre outre-mer. À Granby, un peu moins de 85 % de la population répond négativement à la question posée, ce qui correspond assez fidèlement à la proportion des citoyens canadiens-français dans la municipalité. Or la publication, dans La Voix de l’Est du 29 avril 1942, des résultats enregistrés dans chacun des 34 bureaux de scrutin de Granby permet de réaliser une analyse plus fine des tendances ethniques du vote.

Résultats du plébiscite sur la conscription, 27 avril 1942

Bureaux Adresses Non % Oui %
49 Salle Drummond 171 68,9 77 31,1
50-A Salle Drummond 34 28,8 84 71,2
50-B Salle Drummond 66 35,9 118 64,1
51 141, Cowie 178 77,4 52 22,6
52-A 195, Cowie 181 89,6 21 10,4
52-B 195, Cowie 159 91,9 14 8,1
53 217, St-Jacques 198 96,1 8 3,9
54 99, St-Antoine Sud 185 93,9 12 6,1
55 379, Racine 217 93,1 16 6,9
56-A 335, Notre-Dame 158 92,9 12 7,1
56-B 335, Notre-Dame 172 94,0 11 6,0
57-A 76, St-Charles Sud 209 95,0 11 5,0
57-B 76, St-Charles Sud 193 94,1 12 5,9
58-A 105, Champlain 180 90,0 20 10,0
58-B 105, Champlain 167 93,3 11 6,7
59-A 471, Cowie 172 94,5 10 5,5
59-B 471, Cowie 184 94,4 11 5,6
60 77, Drummond 171 58,4 122 41,6
61 7, Young 82 47,9 89 52,1
62 Rue Drummond 99 48,1 107 51,9
63-A E.C.R. 152 74,8 51 25,2
63-B E.C.R. 175 89,3 21 10,7
64-A 67, Court 165 93,2 12 6,8
64-B 67, Court 156 85,7 26 14,3
65 198, av. Du Parc 280 94,6 16 5,4
66 128, Court 255 93,7 17 6,3
67 252, av. Du Parc 276 96,5 10 3,5
68 270, av. Du Parc 228 91,2 22 8,8
69 137, Déragon 205 95,8 9 4,2
70 321, av. Du Parc 172 93,5 12 6,5
71-A 395, av. Du Parc 127 93,4 9 6,6
71-B 395, av. Du Parc 162 98,2 3 1,8
72 447, Principale 165 96,5 6 3,5
73 341, boul. Boivin 160 96,4 6 3,6
Total   5854 84,9 % 1038 15,1 %

 

Plan de la cité de Granby, 1941

Plan de la cité de Granby, Léon Desrochers, 1941. (Annuaire de Granby, 1944)

Les résultats détaillés du plébiscite de 1942 montrent un clivage entre les secteurs anglophone et francophone de Granby encore plus important que le laissent supposer les moyennes enregistrées par le « non »  et le « oui ». Dans les quartiers ouvriers populeux du bas de la ville, où la très grande majorité des habitants est canadienne-française, c’est presque unanimement qu’on refuse la proposition gouvernementale. Ainsi, les six bureaux de scrutin situés dans l’avenue du Parc enregistrent conjointement 1 245 votes pour le « non » et à peine 72 pour le « oui »; la même tendance s’affirme dans les rues Saint-Jacques, Saint-Antoine Sud, Champlain, Principale, Déragon, Racine, Notre-Dame, Saint-Charles Sud et le boulevard Boivin.  Au contraire, les huit bureaux où le pourcentage du « oui » est supérieur à la moyenne municipale de 15  % se trouvent dans le quartier traditionnellement anglophone du haut de la ville et à proximité de la rue Dufferin, sur la frontière qui divise les deux communautés.  En conséquence, les bureaux de scrutin des rues Drummond, Young, d’une partie de Cowie et de l’école Christ-Roi recueillent 700 des 1038 votes favorables à l’imposition de la mobilisation pour outre-mer.

En définitive, les résultats détaillés du plébiscite d’avril 1942 tracent une ligne de partage très nette entre les francophones, qui tiennent fermement au respect de la parole donnée par le gouvernement King au début de la guerre, et les anglophones, pour qui la défense de la mère patrie, l’Angleterre,  justifie toutes les remises en cause. À Granby, jamais la position des Canadiens français sur un sujet de nature politique ou nationale n’a été aussi unanime, rendant prophétiques les paroles prononcées par Ernest Lapointe, le lieutenant québécois de Mackenzie King : «  Les Canadiens français, disait-il en 1940, ne conviendront jamais qu’un gouvernement, quel qu’il soit, ait le droit de leur imposer le service militaire outre-mer ».

Mario Gendron

Sur le même sujet: Les Canadiens français et la Deuxième Guerre mondiale, Mario Gendron, L’historien régional,  vol. 4 no 4

Volume 4, numéro 4 Automne 2004

La toponymie de Granby

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Richard Racine nous offre ici le premier volet d’une série portant sur la toponymie régionale. Périodiquement, d’autres textes et des informations diverses sur le sujet vous seront présentés dans la catégorie « Toponymie, cartes et plans » du site internet de la SHHY. Pour ne rien manquer, visitez-nous souvent. MG

John Manners, Marquis de Granby (1721-1770)

John Manners, Marquis de Granby (1721-1770). (Auteur: Sir Joshua Reynolds. Source: Ringling Museum of Art, Sarasota)

Sans qu’on en soit pleinement conscient, la toponymie joue un rôle de gardien de la mémoire locale en faisant constamment référence à un fait, un personnage ou à un lieu historique. À Granby, la double appartenance culturelle de la ville est mise en évidence par la concentration de noms de rues à consonance anglaise dans sa partie haute et à consonance française dans le secteur ouest, principalement dans celui que l’on nommait, au 19e siècle, le village français.

La période coloniale nous a donné, à partir de 1845, des généralités comme Main Stage Road et Main Street, pour la rue Principale, ou North Road pour la rue Elgin, puis une identification plus précise telle que Market Street, pour la rue Dufferin, Court Street et Forest Street, pour la rue du Parc, des lieux fréquentés par la société de l’époque.

En 1867, les autorités municipales comblent une lacune en ordonnant de « donner un nom à toutes les rues qui n’en possèdent pas encore. » Naturellement, on s’inspire de l’administration britannique pour choisir des noms comme Drummond, Dufferin et Mountain. Quelques années plus tard, la concentration de la population francophone, établie à l’ouest de l’église Notre-Dame, favorise l’apparition de toponymes religieux et des références à l’élite du temps. Pendant de nombreuses années, le clivage linguistique délimite la frontière géographique entre les deux communautés établies dans le « vieux Granby ». La nomenclature des rues attestant de cette réalité historique.

Boulevard Montcalm, Granby

© Le boulevard Montcalm. Cette artère, qui date de 1926, portait à ses débuts le nom de Robert en l’honneur d’un homme d’affaires de Granby. En 1932, le conseil municipal lui attribue le nom du général français mort lors de la bataille des plaines d’Abraham, le marquis Louis-Joseph de Montcalm. À l'extrémité nord, le Centre hospitalier de Granby. (Collection SHHY, photo: La Voix de l'Est, vers 1950)

La prise en charge de l’administration municipale par la bourgeoisie francophone, à partir du début des années 1930, déclenche des transformations dans tous les secteurs de la société, incluant la toponymie. Alors que Pierre-Ernest Boivin achève son dernier mandat à la mairie s’amorce un virage dans l’attribution des noms de rues à Granby. Sans doute la poussée nationaliste de cette période y est elle aussi pour quelque chose, des artères comme St.James, Franklin et Huntingdon voient leur nom changé pour Saint-Jacques, avenue du Parc et Saint-Antoine. Les références à l’histoire nationale font aussi leur apparition. Les nouvelles rues Cartier, Laval et Brébeuf côtoient maintenant dans les registres les personnages locaux que sont les Boivin, Leclerc et Robert. Par la suite, on ajoute des références botaniques et autres fantaisies au répertoire toponymique.

L’attribution d’un odonyme qui rappelle soit un lieu géographique présent ou ancien, soit la participation d’un individu ou d’une famille au développement du territoire, soit l’importance d’un personnage politique fait maintenant partie des règles de gestion municipale. L’importance de la toponymie n’est plus à démonter puisqu’un organisme international comme l’UNESCO reconnaît son caractère patrimonial depuis 1987.

Richard Racine

Toponymie de Granby

 

Premier annuaire de Granby : The Granby Directory, 1912-13

Joseph-Hermas Leclerc et la pasteurisation du lait

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Joseph-Hermas Leclerc

© Joseph-Hermas Leclerc, 1877-1945. (Fonds Les Laiteries Leclerc, SHHY)

Joseph-Hermas (J.-H.) Leclerc est une figure de proue de l’histoire régionale et granbyenne, comme le souligne la désignation d’une polyvalente à son nom, en 1972. Industriel, président de la commission scolaire de Granby (1923-1934), conseiller municipal (1925-1930), maire de Granby (1933-1939) et député fédéral de Shefford (1935-1945), l’homme semble avoir mené tous les combats. Or, la réalisation peut-être la plus importante qu’il ait accomplie n’est pas d’avoir été maire ou député, mais d’avoir introduit la pasteurisation du lait à Granby en 1920, contribuant ainsi à sauver la vie de nombreux enfants.

En investissant les villes et les villages, attirés par le développement industriel, les ruraux ont gardé l’habitude de boire beaucoup de lait, un aliment nourrissant et relativement bon marché. À Granby, l’approvisionnement de la population se fait par l’intermédiaire de plusieurs laitiers qui, pour la plupart, gardent leurs vaches dans les limites de la municipalité. Au début des années 1920, on compte 28 de ces laitiers dans la ville. Le plus important d’entre eux, Joseph St-Onge, de la rue Saint-Jacques, garde dix vaches et la plupart des autres, une ou deux. Quant à J.-H. Leclerc, qui opère la Crèmerie de Granby depuis 1915, il s’approvisionne auprès des cultivateurs de la campagne environnante.

La Crèmerie de Granby

La Crèmerie de Granby, rue Centre, 1915-1922. (Laiterie Leclerc limitée, 1957, Fonds Les Laiteries Leclerc)

Mais s’il est nourrissant et peu coûteux, le lait reste un produit dangereux qui, comme l’eau, favorise la propagation des maladies et contribue de manière significative au taux alarmant de mortalité infantile. Sur 100 enfants qui naissent à Granby en 1920, 16 mourront avant d’avoir atteint l’âge d’un an, de maladies infectieuses dans la plupart des cas. Ce taux de mortalité est inférieur à celui de Montréal, mais tout de même supérieur à celui de New York et de plusieurs autres villes dans le monde. À titre de comparaison, le taux de mortalité infantile actuel du Québec est 35 fois inférieur à ce qu’il était en 1920.

C’est depuis la fin du XIXe siècle que la municipalité de Granby légifère dans le but d’améliorer la salubrité du lait. Ainsi, à partir d’avril 1896, les laitiers qui desservent le village devront faire inspecter leurs vaches par un vétérinaire compétent, l’objectif principal de cette mesure étant d’identifier et d’écarter de la production les animaux porteurs de la tuberculose bovine, transmissible aux humains. En 1912, on oblige les propriétaires à fournir un certificat attestant la propreté de leur étable. D’autres règlements municipaux, adoptés entre 1921 et 1924 et en 1939, imposent des normes d’hygiène de plus en plus sévères. Les contrevenants restent néanmoins nombreux, comme E. Bérard qui, en décembre 1921, reçoit une amende de 10 $ et voit son permis révoqué pour avoir vendu, à Granby, du lait provenant de vaches ayant été examinées et déclarées tuberculeuses.

Laiterie de Granby

© Une voiture de livraison de la Laiterie de Granby, vers 1945. (Fonds Les Laiteries Leclerc, SHHY)

Aucun règlement municipal adopté avant la Deuxième Guerre mondiale n’impose la pasteurisation, qui est pourtant la seule méthode vraiment efficace d’assurer la salubrité du lait. L’inaction des autorités s’explique par une triple résistance des citoyens face à la mesure. Ainsi, certains s’opposent à la pasteurisation sous prétexte qu’elle diminue la valeur nutritive du lait — ce qui est faux —, d’autres indiquent qu’elle change le goût du lait — ce qui est vrai —, lui faisant perdre une saveur animale qui semble appréciée, et plusieurs s’y refusent au nom de la liberté d’entreprise. Seul J.-H. Leclerc aura le courage d’adopter la pasteurisation et d’accepter le risque financier associé à son introduction.

J.-H. Leclerc s’intéresse à l’industrie laitière depuis 1899. Avant de s’établir à Granby, en 1914, il exploite successivement des beurreries à Racine, Frost Village et Foster, période au cours de laquelle il remporte plusieurs prix pour la qualité de ses produits : la coupe pour le meilleur beurre à l’exposition canadienne nationale de 1908, la médaille d’or de l’exposition d’Ottawa en 1909, le premier prix à l’exposition de Saint-Jean (N.-B.) l’année suivante, ainsi que beaucoup d’autres diplômes, trophées et médailles.

C’est à l’automne 1914 que J.-H. Leclerc s’installe à Granby, où il construit la Crèmerie de Granby, dans la rue Centre, près de Principale. Le printemps suivant, il s’engage dans la vente de lait, de beurre et de crème et met sur pied un système de distribution moderne, comparable à celui des villes plus populeuses. En mai 1916, il achète un grand congélateur et enclenche la production de la crème glacée de marque Perfection, un produit qui allait faire la renommée de son entreprise. Dans les publicités qu’il fait paraître dans l’hebdomadaire local, le Granby Leader-Mail, J.-H. Leclerc insiste particulièrement sur les conditions d’hygiène strictes qui gouvernent ses opérations. Mais sans procéder à la pasteurisation, il ne peut garantir la salubrité du lait qu’il distribue, celui-ci ayant pu être contaminé par l’insouciance d’un de ses fournisseurs.

Publicité Laiterie de Granby

Publicité de la Laiterie de Granby parue dans le Granby Directory de 1930.

Contrairement à ce qu’on peut lire dans les Bâtisseurs de Granby, paru en 1959 à l’occasion du 100e anniversaire d’incorporation de la municipalité, ce n’est pas en 1915 que J.-H. Leclerc commence à pasteuriser son lait, mais bien en 1920, comme en font foi plusieurs articles du Leader-Mail. Dans l’un d’eux, paru en mars, l’entrepreneur explique longuement la procédure et les avantages de la pasteurisation, une découverte associée au nom de Louis Pasteur, mais dont l’application au lait revient à l’agrochimiste allemand Franz von Soxhlet (1848-1926), en 1886.   Après qu’on ait fait le constat que le lait est largement responsable du taux élevé de mortalité infantile dans les villes, J.-H. Leclerc explique comment l’application de deux procédés spécifiques, la clarification et la pasteurisation, enraye la propagation des maladies infectieuses.  Tandis que la clarification nettoie le lait de ses impuretés grâce à une technique qui s’apparente à la filtration de l’eau dans les aqueducs, la pasteurisation, qui consiste à chauffer le lait à 63 Celsius (145 Fahrenheit) pendant 20 minutes, puis à le refroidir rapidement et à le maintenir constamment à cette basse température, permet de détruire les bacilles de la tuberculose et de la diphtérie, la bactérie du choléra et beaucoup d’autres micro-organismes associés aux infections gastro-intestinales chez le nourrisson. Par la suite, le lait doit être embouteillé dans des contenants stérilisés.

La Laiterie de Granby

La Laiterie de Granby, rue Victoria, en 1935 (stationnement du Palace). (The Canadian Dairy and Ice Cream Journal, Toronto, July, 1935, p. 1)

Ayant gagné le pari de la pasteurisation, comme le montre l’augmentation rapide de sa clientèle, J.-H. Leclerc se voit dans l’obligation, dès 1921, de déménager ses opérations dans la rue Victoria, où il construit un édifice en brique de 15 X 21 mètres (50 X 70 pieds)  qu’il équipe des appareils de pasteurisation et de réfrigération à l’ammoniac les plus modernes. En juin 1922, il y installe même un compresseur actionné par un moteur à vapeur afin d’être en mesure d’assurer la réfrigération de ses produits advenant une panne de courant, comme cela arrive fréquemment à cette époque. Pour financer l’expansion de son entreprise, il la transforme en compagnie par actions; par la même occasion, il en change la raison sociale pour Laiterie de Granby. Des agrandissements à l’édifice original seront effectués en 1930 et en 1942.

Élu député de Shefford en 1935, J.-H. Leclerc continue à militer en faveur de la pasteurisation du lait sur la scène fédérale, ne ratant jamais une occasion de faire la promotion de la mesure lors de ses interventions à la Chambre des communes. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale s’enclenche, en 1939, il dirige toujours la seule laiterie de Granby à pasteuriser son lait.

Il n’est pas facile de quantifier l’impact de la pasteurisation du lait dans l’ensemble des mesures mises en place au cours des années 1920 pour contrer la mortalité infantile. À Granby, quoi qu’il en soit, le taux de décès des enfants de 0 à 1 an diminuera de moitié entre 1920 et 1930, passant de 16 % à 8 %. En pasteurisant son lait alors que personne n’osait le faire, J.-H. Leclerc a rendu un service inestimable à ses concitoyens et confirmé la place qu’il occupe sur la courte liste des bâtisseurs de Granby.

Mario Gendron

© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

La modiste et son destin

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Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation et l’urbanisation bouleversent les conditions générales de vie autant que les mœurs de bon nombre d’habitants du Québec. Dans la foulée de ces transformations, certaines femmes n’hésitent pas à prendre le chemin de l’usine [1], alors que d’autres contribuent aux revenus familiaux en travaillant à leur compte, à la maison, conciliant tâches domestiques et vie familiale; le métier de modiste convient bien à ce style de vie.

Chez A.C. Savage de Granby

Chez les Savage de Granby

Artisane, la modiste du début du XXe siècle fabrique le chapeau à la main, bien souvent comme un objet unique. Elle conçoit des chapeaux de tissu, de feutre ou de fourrure en fonction de la mode, de ses goûts artistiques et du visage de sa cliente.  Elle modèle, teint, taille, coud et assortit ses chapeaux en les imaginant de toutes formes, tailles et matières. Chacune se fait un point d’honneur d’avoir les créations des plus originales, surtout le matin de Pâques. « Les chapeaux étaient garnis de fleurs, rubans, velours, tulle et plumes, c’était tout un art que de savoir disposer tous ces éléments »[2].

En 1901, on recense une vingtaine de modistes dans le comté de Shefford, dont quinze habitent au village de Granby. Les mères de familles travaillent majoritairement à leur compte, à leur domicile, alors que les plus jeunes femmes, célibataires pour la plupart, sont couramment employées chez d’autres modistes ou dans les magasins généraux, comme A. C. Savage & Sons. Même si les ateliers de modistes d’Antoinette Lambert, d’Hermine Boire, de R. Martel, d’Elmira, Elmina et Maria Bureau s’annoncent officiellement dans The Granby Directory 1912-13, les modistes ont rarement besoin d’enseignes ou de publicité, car leur clientèle leur est fidèle.

Les modistes Antoinette et Rosa Lambert

Les modistes Antoinette et Rosa Lambert

Le travail de la modiste devient plus astreignant à mesure qu’avance le XXe siècle, à une époque où la mode est à la profusion de fleurs, de plumes d’oiseaux exotiques, de rubans et de voilettes. La clientèle, toujours plus difficile à contenter, réclame, tout à la fois, originalité, riches matériaux, modèles complexes et petits prix, des exigences qui en viennent à affecter la santé de plusieurs modistes. À cet égard, en 1918, Le Journal de Waterloo relate le décès d’une jeune modiste et couturière, mademoiselle Laura Meunier, qui s’est éteinte « pieusement » à l’âge de 27 ans, victime, dit-on, de l’épuisement professionnel. « Au service de Melle Laura Meunier – dans la vaste et belle église de Granby, – on était forcé de remarquer certaines femmes et filles, pauvres mais bien vêtues, qui priaient en pleurant. Elles savaient, elles, que si, depuis des années, la défunte était pâle, émaciée, souffrante, c’est parce qu’elle donnait trop de ses nuits à des indigentes honteuses qui voulaient rester honnêtes et qui, pourtant, par leur habillement, n’auraient pas voulu paraître pauvresses ou ridicules. Elle avait un goût exquis, artistique et comme toutes les modistes douées d’une âme délicate, soucieuses de leur responsabilité, elle souffrait d’avoir à confectionner des costumes parfois si bizarres, si peu modestes. Bien qu’elle aimât l’économie, elle eût ardemment désiré ajouter, au haut et au bas de certaines robes, un peu plus d’étoffe. À coup sûr, Mademoiselle Laura, au ciel, prie pour que les modes deviennent plus simples, plus décentes, moins changeantes et moins ruineuses »[3].

Jusqu’aux années 1960, le chapeau fait partie intégrante de l’habillement féminin, conformément aux conventions sociales et religieuses [4]. Mais cette mode séculaire disparaît avec l’esprit de liberté qui caractérise la décennie des Beatles, de l’amour libre et du premier homme sur la lune. Aujourd’hui, quelques ateliers de modistes ont toujours pignon sur rue, mais leurs produits et services sont souvent perçus comme réservés à l’élite.

Marie-Christine Bonneau

© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Fonds Yvette Légaré-Fortin, modiste


  1. [1] En 1891, 13,4% de la main-d’œuvre au Québec est composée de femmes; dix ans plus tard, la proportion atteint 17,8%.( Le Collectif Clio, L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, 1982.)
  2. [2] Ernestine Charland-Rajotte, Drummondville au cœur du Québec, 1972.
  3. [3] Journal de Waterloo, 12 décembre 1918, p. 4.
  4. [4] Jeanne Pomerleau, Des métiers pour le corps, métiers des campagnes 2, 2003.

L’exposition agricole du comté de Shefford, 125 ans de présence en région

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À une époque où les occasions de se divertir étaient rares, l’exposition agricole du comté de Shefford constituait un événement que tous attendaient avec fébrilité. Cette grand-messe de l’agriculture et de l’élevage, qui se tenait généralement à Waterloo à la fin de l’été, mobilisait des milliers de personnes de tous les horizons sociaux et de tous les âges. On y venait, bien sûr, pour les animaux et les produits agricoles, mais aussi pour les attractions parallèles, les courses, les activités foraines et les diseuses de bonne aventure ou, plus simplement, pour rencontrer des gens et s’amuser, même si plusieurs abusaient de cet espace de liberté pour s’enivrer et se bagarrer.

Exposition agricole du comté de Shefford

L'exposition agricole attire des milliers de visiteurs à Waterloo. Les installations, vers 1890. (Fonds R. Monnier, SHHY)

C’est la Société d’agriculture du comté de Shefford qui, l’année même de sa fondation, en 1834, organise la première exposition agricole sur la terre de Calvin Richardson, à l’extérieur des limites de Waterloo. Ces cattle show, comme les nomment les anglophones, cherchent à faire connaître les progrès de l’agriculture et de l’élevage au plus grand nombre et à favoriser l’émulation chez les cultivateurs. Les exposants de 1834, au nombre de 74, présentent environ 150 têtes de gros bétail, taureaux, vaches à lait, bœufs de travail, veaux, bovins de boucherie, étalons, juments, chevaux hongres, juments de selle et poulains, sans compter les nombreux porcs. À cette occasion, on distribue 328 $ en prix, une somme importante si l’on considère qu’une vache se vend 10 $ ou 15 $ à cette époque.  À la différence de la situation qui prévaut après 1880, les animaux ne sont pas regroupés et jugés selon leur race mais uniquement d’après leurs qualités individuelles. Ainsi, on récompense la jument qui présente la meilleure conformation, le bœuf le plus lourd ou le cochon le plus gras. Parce qu’ils possèdent généralement de beaux animaux, ce sont surtout les gros cultivateurs qui participent à l’événement. À la suite de la reconnaissance officielle par Québec des sociétés d’agriculture, en 1847, plusieurs de ces gros cultivateurs profiteront largement des subventions gouvernementales annuelles attribuées aux expositions de comtés.

Programme de l'exposition agricole du comté de Shefford

Programme de l'exposition agricole du comté de Shefford, 1934. (Fonds C.D. Porter, SHHY)

Moins présentes avant 1850, les activités plus festives de l’exposition, comme les courses de chevaux et les divertissements forains, voient leur popularité grandir à mesure que le siècle avance et que la société s’urbanise. Les Gitans, qui courent ce genre d’événements, connaissent toujours beaucoup de succès, amassant quelques dollars en prédisant la bonne aventure. Quant à la multiplication des concours d’artisanat, d’horticulture et de produits alimentaires, elle incite un nombre croissant de femmes à participer à l’exposition, soit comme spectatrices, soit comme concurrentes. La popularité de tous ces événements attire des milliers de visiteurs à Waterloo, jusqu’à faire doubler et même tripler sa population pendant quelques jours. Ce sont les salles de billard et les hôtels du village qui sont les principaux bénéficiaires de l’affluence. La consommation d’alcool aidant, les bagarres sont toutefois monnaie courante, ce qui oblige la Société d’agriculture de Shefford à engager des constables spéciaux afin de maintenir l’ordre. Ainsi, en septembre 1877, le Waterloo Advertiser rapporte, comme s’il s’agissait d’un fait coutumier: « Il y a eu le nombre habituel de querelles d’ivrognes à l’exposition agricole et un grand nombre d’arrestations ont été effectuées ».

Après 1880, l’exposition agricole de Shefford s’inscrit sous le signe de l’industrie laitière, dont la croissance est stimulée par la demande anglaise pour le fromage cheddar et par l’extension du marché domestique du beurre. Cette évolution explique que ce sont les races bovines laitières —ayrshire, canadienne ou jersey — qui retiennent  désormais l’attention des concurrents et des spectateurs, éclipsant les races de boucherie et les races à deux fins (lait et viande). « Il y a de cela quelques décennies », affirme à regret un observateur en septembre 1893, « nous pouvions admirer de magnifiques bovins de grandes races, gras comme du beurre et d’une taille énorme, mais en ces jours d’industrie laitière, les cultivateurs n’en ont plus que pour les petites races laitières. » Les concours de chevaux de ferme et de route, ces indispensables alliés du cultivateur, du voyageur, du commerçant, de l’industriel et du professionnel, attirent toujours des foules importantes; les moutons, au contraire, sont en perte de vitesse, leur destin compromis par l’importation massive des lainages anglais à bon marché.

En 1937, remise de la coupe Bona Dusseault (ministre de l'Agriculture), en présence du président de la Société d'agriculture, W.H. Miner, de J.C. Magnan, Liboire Paré et Hector Choquette, député de Shefford. (Fonds Bernard Brodeur, SHHY)

Malgré que Shefford soit un comté où la proportion des francophones dépasse les trois-quarts à la fin du XIXe siècle, ce sont surtout des cultivateurs et des marchands anglophones qui concourent et gagnent à l’exposition agricole. Certains de ces compétiteurs portent des noms qui remontent aux familles pionnières du canton de Shefford (C.W. Curtis, Henry Ashton, James T. Booth, Jos. H. Savage), de Roxton-Sud (John Blampin, James Galbraith, J.R. Sanborn et Bradley Smith), de Granby (T. Roberts, W. Kay, Edward Seal et J.S. Irwin) et de Saint-Joachim (M.S. Standish et J. Kennedy). De surcroît, ce sont de gros marchands d’animaux, comme S.N. Blackwood et John Davis, de Shefford, qui remportent les concours de vaches et de taureaux canadiens enregistrés, des animaux que les Canadiens français élèvent pour leurs aptitudes laitières depuis des générations et qu’ils ont amenés avec eux en région.

Alors que le XXe siècle bat son plein, l’exposition agricole de Shefford reste ancrée dans ses traditions et marque le pas. Concurrencée par le cinéma et le baseball, qui lui arrachent une partie de sa clientèle, elle perd progressivement sa suprématie comme manifestation régionale de grande envergure. On peut aussi penser qu’une forme de lassitude s’est installée chez les gens, puisque ce sont presque toujours les mêmes cultivateurs qui participent et qui remportent les prix. Même l’entrée en scène de nouvelles races de porc et de la race holstein, appelée bientôt à dominer les cheptels laitiers, n’arrive pas à soulever l’enthousiasme populaire.

Exposition-agricole-de-Shefford, Waterloo

Exposition agricole du comté de Shefford de 1957

La Société d’agriculture du comté de Shefford sort affaiblie de la Deuxième Guerre mondiale, maintenant confrontée à une désaffection des cultivateurs qui menace la survie même de son exposition annuelle. En 1957, les directeurs de la Société tentent de renverser la tendance en organisant une exposition extraordinaire les 9, 10 et 11 août. Pat Anthony, « le plus grand dompteur de bêtes sauvages de l’univers », sera sur place avec ses lions, on présentera un spectacle équestre mettant en scène les meilleurs chevaux sauteurs de Montréal et les artistes jongleurs de renom Ray & Yo donneront plusieurs représentations.  On procédera même au tirage d’une automobile de marque Studebaker, d’une valeur de 2 225 $. Comme c’est le cas depuis des décennies, c’est le Waterloo Band qui aura la responsabilité d’assurer l’animation musicale sur le terrain de l’exposition. Des publicités seront placées dans le Montreal Star et La Voix de l’Est afin de garantir la présence du public.

Le bilan de l’exposition de 1957 effectué et le déficit d’opération constaté, les directeurs de la Société d’agriculture doivent se résoudre à l’inévitable : vendre le terrain et les installations de l’exposition à la Ville de Waterloo contre le paiement des dettes de l’organisme. Après une année de relâche, la dernière exposition agricole du comté de Shefford se tient en 1959. Ayant perdu sa principale raison d’être, la Société d’agriculture de Shefford est dissoute le 28 mai 1971 par le ministre de l’Agriculture et de la Colonisation.

Comment expliquer la disparition de l’exposition agricole du comté de Shefford, alors que celles de Brome et de Bedford (Missisquoi) ont perduré jusqu’à aujourd’hui? Les raisons principales tiennent sans doute à la diminution du nombre des cultivateurs anglophones de Shefford, et ce, à un rythme beaucoup plus rapide que dans les comtés voisins, et au désintérêt des cultivateurs francophones, dont les plus importants préfèrent désormais participer à l’exposition de Saint-Hyacinthe.

© Mario Gendron

Société d’histoire de la Haute-Yamaska

 

 


L’Ordre des chevaliers de Carillon

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Né avec la Crise et disparu avec la Deuxième Guerre mondiale, l’Ordre des chevaliers de Carillon a pratiquement été ignoré par les historiens, et ce, malgré qu’il ait connu un succès certain auprès de l’élite canadienne-française de quelques villes des Cantons-de-l’Est, entre autres Granby, Sherbrooke, Magog et Farnham. Parmi ces dernières, Granby s’est imposée comme le point d’ancrage et le centre organisationnel de ce mouvement nationaliste aux forts accents religieux. Le rôle essentiel de Granby dans l’implantation de l’Ordre à l’extérieur de Montréal revient sans conteste au dynamisme de sa petite bourgeoisie canadienne-française, aguerrie par la lutte incessante qu’elle mène contre l’influence dominante qu’exerce la minorité anglophone dans la ville.

Chevaliers de Carillon de Granby

Les patrons religieux et laïcs des chevaliers de Carillon sont saint Jean-Baptiste, les Martyrs canadiens et Montcalm, « le vainqueur de la bataille de Carillon »; leur drapeau est le Carillon Sacré-Cœur, emblème de la nation canadienne-française, leur devise, « Nos autels et nos foyers ». (Les Chevaliers de Carillon de Granby. Album souvenir de la paroisse Notre-Dame de Granby, Granby, 1936)

L’Ordre des chevaliers de Carillon est fondé en 1930 à Montréal par Mgr Lepailleur, dans le contexte du renouveau du nationalisme canadien-français conservateur et catholique qui accompagne la crise économique de 1929. L’Archevêque de Montréal, Paul Bruchési, en confie aussitôt le développement et la direction spirituelle aux Pères Oblats (OMI). L’objectif de l’association est de mobiliser la petite bourgeoisie catholique militante des villes les plus importantes des Cantons-de-l’Est autour de la défense des intérêts nationaux et religieux des Canadiens français, en conformité avec les principes de l’Action catholique émis dans l’encyclique Quadragesimo anno, parue en 1930. De façon pratique, l’Ordre est à l’écoute des directives du pape et des évêques et veut redonner aux Canadiens français et à leur langue la place qui leur revient dans le Canada. Les élites canadiennes-françaises étant demeurées longtemps sans agir, constate-t-on, « la plus large part de notre patrimoine national est passé aux mains des capitalistes étrangers » et la langue française a presque été totalement bannie du commerce, de l’industrie et de la finance.

Le conseil No 2 de l’Ordre est fondé à Granby le 8 mars 1931 et rattaché à la paroisse Notre-Dame. L’association recrute exclusivement parmi les hommes en vue de la communauté granbyenne, c’est-à-dire parmi ceux qui savent que « le monde vit et agit par le petit nombre ». Issu d’une élite profondément chrétienne et « intégralement canadienne-française », le chevalier est un homme de grande vertu qui s’interdit les jeux à l’argent, les bals, les soirées dansantes et la consommation d’alcool en public, qui constituent autant d’entraves à son action catholique et nationale. Pour devenir membre de l’Ordre à part entière, le chevalier doit aussi subir une initiation dont la nature est gardée secrète, comme c’est souvent le cas dans ce type d’association.

Jusqu’en 1935, l’Ordre des chevaliers de Carillon ne regroupe que les conseils de Montréal et de Granby, mais plusieurs autres s’ajoutent avant la fin de l’année suivante, à Farnham, Sherbrooke, Saint-Jean, Magog et Drummondville. C’est au conseil de Granby, aidé par l’aumônier général, le père Castonguay (OMI), que revient l’initiative de chacune de ces fondations. En janvier 1936, la mise sur pied du conseil No 4, dans la paroisse Sainte-Famille, montre toute l’importance que l’Ordre a acquis au sein de l’élite canadienne-française de Granby. « Ce mouvement de renouveau catholique semble prendre des proportions dignes de son but », peut-on lire dans la Voix de l’Est.

Aucune indication ne permet d’estimer le nombre total des membres des deux conseils de Granby. Leurs leaders, cependant, sont des figures bien connues du grand public. Les postes de direction qu’ils se partagent au sein de l’Ordre sont ceux de grand chevalier et d’assistant grand chevalier, de conseiller légal, de censeur, de garde intérieur et de garde extérieur. Chaque conseil comprend aussi un médecin et un aumônier responsables. Parmi ces dirigeants, on remarque la présence du notaire Lindor Tétreault, grand chevalier du conseil No 2, des épiciers Wilfrid Juaire et Ernest Morin, du commerçant de meubles Césaire Léroux, du bijoutier Louis-Philippe Petit, du comptable Aimé Dorion, des industriels Laurio Racine et Joseph-Hermas Leclerc, également député fédéral, du gérant de banque Armand Thibodeau et des médecins Émile Quenneville et Jean-Marie Dubé.

© Le char allégorique des Chevaliers de Carillon commémorant l’arrivée de Jacques Cartier, tel que présenté lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1934. (Fonds Pauline Lasnier, SHHY)

Le champ d’action des chevaliers de Carillon des paroisses Notre-Dame et Sainte-Famille s’étend aux domaines religieux, civique, national et scolaire; il est aussi vaste que le programme de l’Action catholique. Dans le domaine religieux, l’Ordre organise des retraites fermées, mène la guerre aux affiches immorales et à l’athéisme communiste, accorde son aide aux organisations religieuses les plus diverses et fait des dons en argent aux églises Notre-Dame et Sainte-Famille. L’Ordre donne aussi des conférences sur le salaire familial, le civisme, le séparatisme et les syndicats nationaux et participe activement aux fêtes nationales de Dollard et de la Saint-Jean-Baptiste.

Les chevaliers de Carillon se font aussi un devoir de combattre les lois et les règlements qui attaquent la langue et les droits des Canadiens français. Parmi d’autres mesures, ils réclament le bilinguisme dans les ministères des postes et des finances et la présence du français dans tous les services publics qui relèvent du gouvernement fédéral. Les Carillons de Granby sont particulièrement sensibles à la langue d’affichage, ce qui se comprend aisément dans une ville où sur 106 enseignes commerciales recensées en 1937, 76 sont uniquement en anglais, 20 sont bilingues et 13 seulement sont en français. Dans la seconde moitié des années 1930, ils se font aussi les ardents promoteurs de la campagne d’ « achat chez nous », qui se veut une réponse à la dépossession commerciale des Canadiens français subie « aux mains des étrangers ».

Le drapeau Carillon Sacré-Cœur fut adopté par la Société Saint-Jean-Baptiste en 1903 comme drapeau officiel des Canadiens français, avant d’être remplacé par le drapeau actuel, en 1948.

L’Ordre accorde une attention particulière à l’éducation. Ainsi, on organise des concours de littérature et d’histoire du Canada dans les différentes écoles de Granby et on offre des livres d’histoire comme prix. En octobre 1936, afin d’attiser la ferveur nationaliste des élèves, les chevaliers de Sainte-Famille donnent une douzaine de grands drapeaux Carillons Sacré-Cœur à l’école Christ-Roi, qui les accepte et les installe dans chacune des classes. Tous les matins, les élèves devront se mettre au garde-à-vous et saluer le drapeau.

Pour signifier l’importance de Granby dans son développement, l’Ordre y organise, en octobre 1936, son premier congrès général à l’extérieur de Montréal. Ce « véritable déploiement des forces vitales racistes des Canadiens français » attire plus de 150 délégués et donne lieu à une grande initiation des nouveaux membres. Plusieurs résolutions sont adoptées lors de cette rencontre, mais la principale préoccupation concerne la guerre civile qui déchire l’Espagne depuis juillet 1936. Dans ce conflit, l’Ordre prend fait et cause pour les nationalistes de Franco contre les républicains, démocratiquement élus, mais à qui on reproche d’être inféodés aux mouvements anarchiste et communiste et de supporter la Russie soviétique.

À partir de 1937, c’est la possibilité que le Canada s’engage dans un conflit européen, de plus en plus imminent, qui mobilise les chevaliers de Carillon et plusieurs autres associations de Granby. Mais la Deuxième Guerre mondiale, qui s’enclenche en septembre 1939, trahit non seulement les aspirations non interventionnistes de l’Ordre, mais elle en signe l’arrêt de mort en mettant au ban de la société toutes les associations au nationalisme exacerbé, maintenant soupçonnées de partager l’idéologie que les Alliés se sont engagés à combattre.

Si son existence fut relativement brève, l’Ordre des chevaliers de Carillon a néanmoins permis à la fraction conservatrice catholique de l’élite granbyenne d’exercer son leadership sur la scène locale, régionale et nationale à une époque où les Canadiens français luttaient afin d’occuper une place équivalente à leur écrasante majorité démographique.

Mario Gendron

©Société d’histoire de la Haute-Yamaska

De Rome à Granby, l’histoire épique d’un sarcophage

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Granby peut s’enorgueillir d’avoir en ses murs un sarcophage qui date de l’époque romaine. Cette pièce d’antiquité, remarquable par sa longue histoire mouvementée, ainsi que par sa valeur archéologique et son unicité en sol québécois, provient d’Italie et est âgée de plus de dix-huit siècles. C’est grâce au maire Horace Boivin qu’elle arrive à Granby, en 1954, pour être aussitôt transformée en fontaine destinée à l’embellissement du parc Pelletier. Elle y restera jusqu’en 2003, quand des travaux de conservation imposeront son déménagement et son entreposage. Dernièrement, de nouvelles recherches effectuées par M. Beaudoin Caron, chargé de cours à l’Université de Montréal, ont ravivé l’intérêt pour le sarcophage romain et permis de mieux comprendre son histoire; des recherches personnelles effectuées dans la presse italienne ont aussi conduit à clarifier les circonstances de son arrivée à Granby.

Sarcophage romain à Granby

Le côté « chrétien » a été sculpté au Moyen Âge, probablement au XIVe siècle. On y retrouve des saints chrétiens, une madone, le Christ et un ange, ainsi que les armoiries des Caprona, une puissante famille pisane de l’époque. (Photo Johanne Laplante Senay, Fontaines de Granby, Université de Sherbrooke, 1975)

En mai 1953, Horace Boivin part représenter la Fédération des maires du Canada au couronnement de la reine Elizabeth II et au congrès international des maires et des municipalités, à Vienne, en Autriche. Comme c’est son habitude de le faire, il en profite pour parcourir l’Europe afin de rencontrer des industriels susceptibles de s’établir au Canada et plus particulièrement à Granby. Au mois de juin, on le trouve en Italie, où il visite Milan, Turin et enfin Rome. Selon toute vraisemblance, c’est dans la capitale italienne, au cours d’une rencontre au siège de l’Union chrétienne des entrepreneurs dirigeants (UCID), avec le président de l’association et d’autres patrons italiens d’orientation chrétienne catholique, que le sarcophage romain aurait été donné au maire Boivin, sans doute à la suite de sa demande personnelle.

fontaine romaine

La fontaine romaine, au parc Pelletier, en 1954. (Fonds Jean-Paul Matton, SHHY)

Le projet de construction de la fontaine sarcophage est confié à Fernando Onori, un sculpteur de Rome. Deux chapiteaux, provenant d’un ancien palais romain, serviront de support au sarcophage et un bassin en ciment complétera l’ensemble de l’oeuvre. Quatre plaques commémoratives, sculptées respectivement en français, en anglais, en italien et en latin, accompagneront le tout. L’assemblage de la fontaine se fait à Granby selon les directives techniques du sculpteur, alors que les travaux pour la construction du bassin et l’installation du système d’eau et du système électrique sont dirigés par Paul Gaudreau, surintendant de la voirie à la Ville de Granby.

Description de la fontaine romaine par Fernando Onori, sculpteur de Rome, 26 juillet 1953

Selon les recherches effectuées par Beaudoin Caron, le sarcophage, fabriqué en marbre, date du milieu du IIe siècle de notre ère. Il est orné de bas-reliefs qui révèlent une partie de son origine et de son histoire. Ainsi, un des deux longs côtés est décoré de scènes païennes, tandis que l’autre montre des figures chrétiennes. Sur le côté « païen », on peut observer une procession de divinités marines mineures, qui symbolisent le voyage de l’âme vers l’au-delà. Ces sculptures datent de l’époque à laquelle le sarcophage a été réalisé. Le côté « chrétien » a été sculpté au Moyen Âge, probablement au XIVe siècle. On y retrouve des saints chrétiens, une madone, le Christ et un ange, ainsi que les armoiries des Caprona, une puissante famille pisane de l’époque. Enfin, sur les côtés plus étroits du sarcophage, on peut voir deux croix de Malte.

Au sens strict du mot, un sarcophage est un cercueil en pierre. Selon une pratique courante de l’époque, il pouvait être récupéré et occupé plus d’une fois, comme c’est le cas pour la pièce archéologique qui nous intéresse ici. Ainsi, un examen de la tabula ansata, l’espace réservé à l’inscription du nom du propriétaire, nous montre que deux épitaphes ont été gravées. La première est effacée au IVe siècle, quand le sarcophage est récupéré et son occupant évacué; la deuxième, encore lisible aujourd’hui, nous apprend que Cascellia Apollonias y a enseveli son époux et sa fille. « Par l’expression  ″Aux dieux manes″, on comprend que cette inscription est païenne », nous dit M. Caron.

Sarcophage romain, Granby

Sur le côté « païen », on peut observer une procession de divinités marines mineures, qui symbolisent le voyage de l’âme vers l’au-delà. Ces sculptures datent de l’époque à laquelle le sarcophage a été réalisé. (Fonds Jean-Paul Matton, SHHY)

Au XIVe siècle, le sarcophage est récupéré à nouveau, mais on ignore avec quelle intention. Selon l’information inscrite sur les plaques commémoratives qui ont accompagné le sarcophage d’Italie, il aurait été utilisé comme autel dans une basilique romaine. Cette hypothèse est cependant contestée par Beaudoin Caron, qui pense qu’au Moyen Âge le sarcophage n’est pas encore à Rome, mais qu’il se trouve plutôt en Toscane, et ce, depuis l’Antiquité. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’au XIVe siècle, il appartient aux Caprona, une famille pisane qui y fait sculpter ses armoiries et probablement aussi les bas-reliefs d’inspiration chrétienne.

L’absence de sources, entre le XIVe et XVIIIe siècle, ne nous permet pas de savoir si le sarcophage reste au sein de la famille Caprona ou s’il connaît d’autres propriétaires. On retrouve ses traces seulement au XIXe siècle, dans un château de Vincigliata, près de Pise, en Toscane. Ce château fort délabré a été acheté par John Temple-Leader, un jeune et très riche Anglais qui, dans l’esprit romantique de l’époque, a consacré sa fortune à sa reconstruction et à l’acquisition d’œuvres d’art. À sa mort, en 1903, sa collection est dispersée. Vers 1925, le sarcophage est amené à Nettuno, près de Rome, pour faire partie de la collection privée du baron Alberto Fassini. Un des catalogues de cette collection, publié en 1931, confirme la présence du sarcophage parmi les œuvres acquises par le noble collectionneur d’art. Une fois la collection Fassini dispersée, pendant ou après la Deuxième Guerre mondiale, on retrace le sarcophage au moment où il est offert en cadeau à Horace Boivin, en 1953.

La fontaine sarcophage est inaugurée le 6 juin 1954. La cérémonie se déroule, en grande pompe, au parc Pelletier et à l’hôtel de ville, en présence de plusieurs notables de la région et de Montréal, des représentants de différents organismes italo-canadiens et du consul général d’Italie. (Fonds Jean-Paul Matton, SHHY)

Sans doute perçue à l’époque comme très originale, l’utilisation du sarcophage comme fontaine a eu des conséquences désastreuses. La circulation de l’eau à l’intérieur du monument a provoqué une forte érosion du marbre, alors que l’exposition aux pluies acides et aux rigueurs du climat québécois en a accéléré la dégradation. Quand des travaux de conservation ont été entrepris, en 2003, il était devenu urgent que le sarcophage soit retiré de l’ensemble de la fontaine et mis à l’abri. Depuis, il est entreposé au garage municipal, en attendant qu’une place digne de son histoire et de sa valeur lui soit trouvée.

Si les récentes recherches ont permis d’en savoir davantage sur le sarcophage romain, plusieurs questions à propos de son origine et de son parcours à travers les siècles restent dans l’ombre. Ainsi en est-il des circonstances entourant sa donation. Une fois exclue l’hypothèse qu’il ait été offert à Boivin par le maire de Rome, comme certains ont pu le croire, on peut considérer qu’il provient d’une collection privée; cependant, on ignore toujours le nom de son propriétaire et les conditions légales du transfert de ce bien patrimonial italien. Sur la plaque commémorative en version française, on peut lire que la fontaine « a été donnée à l’industrieuse cité de Granby et à son maire Horace Boivin par les chefs d’entreprise chrétiens d’Italie réunis dans l’UCID en témoignage des liens qui unissent les peuples chrétiens à Rome, la ville éternelle, berceau de la civilisation chrétienne ». Mais ce texte, aussi intéressant soit-il, ne nous renseigne aucunement sur la provenance immédiate du sarcophage. On peut toutefois penser que l’Union chrétienne des entrepreneurs dirigeants (UCID) aurait difficilement pu se départir d’une pièce de cette importance si elle avait fait partie d’une collection publique.

Le sarcophage en 2003, peu avant son retrait du parc Pelletier. (Collection Société d'histoire de la Haute-Yamaska)

En terminant, ajoutons que Beaudoin Caron rapporte ce fait curieux : « Le sarcophage est mentionné comme pièce de comparaison dans les ouvrages d’archéologie, même récentes, et il est donné toujours comme appartenant à la collection Fassini ou ex-Fassini, sans que des questions soient posées sur son lieu de conservation. » Bref, peu de gens savent que le sarcophage est rendu à Granby; souhaitons que ce texte aidera à mieux le faire connaître auprès des collectionneurs et du grand public.

Cecilia Capocchi

©Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Travailler pour Granby, du village à la cité

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Au cours des trois premières décennies du XXe siècle, Granby passe du statut de village à celui d’une cité industrielle de 10 000 habitants. Afin d’être en mesure de suivre le rythme accéléré que lui impose son développement, la municipalité se lance dans une série de travaux et d’innovations visant à moderniser ses infrastructures et les services qu’elle offre aux citoyens. Les magnifiques photos que nous vous présentons ici, tirées des fonds d’archives de la SHHY, témoignent de l’effervescence de cette époque. Si les ouvriers, manœuvres, cantonniers, charretiers et pompiers qui y apparaissent sont aujourd’hui disparus, leur mémoire reste inscrite sur la pellicule et dans leurs réalisations. En quelques mots et en images, c’est l’histoire de ce petit monde en pleine mutation que raconte cette exposition.

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Les vingt premières années du zoo de Granby : de l’incertitude au succès

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Zoo de Granby

L'entrée du Zoo, rue Bourget, en 1955. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

À la face du monde, la marque la plus distinctive de Granby demeure sans aucun doute son zoo, de même qu’il reste sa plus grande réussite aux yeux de ses habitants. Ce qu’on sait moins à propos de cet indéniable succès touristique et économique, c’est ce qu’il a fallu d’action communautaire et de bénévolat, d’efforts et d’imagination pour qu’il se réalise.

L’expérience du parc Avery, 1946-1953

C’est le maire Horace Boivin qui prend l’initiative, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, de garder quelques petits animaux sauvages et domestiques dans la cour sommairement clôturée de sa résidence. Comme cette ménagerie grossit, la Ville décide, en juin 1945, de transformer « en jardin zoologique le parc Avery [...] en y plaçant deux chevreuils et leurs biches ainsi que d’autres animaux à poils ou à plumes, et cela dans l’intérêt du public qui aime à se rendre à ces lieux de distraction ». L’administration du zoo est déléguée à la Chambre de commerce des jeunes, qui l’assume par l’entremise de son comité de zoologie, fondé en 1946. À ce moment, le zoo rassemble 5 cerfs de Virginie, 3 wapitis, 3 bisons, ces derniers obtenus grâce à l’intervention du député fédéral Marcel Boivin, 2 ours noirs et quelques petits animaux. L’entrée est gratuite et le restera jusqu’en 1954.

Bisons du Zoo de Granby

© Les bisons du parc Avery, dons des Parcs nationaux canadiens de l'Alberta. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY

Rapidement, l’obligation de nourrir, d’héberger et entretenir ces animaux sauvages sème le désarroi parmi les responsables. La correspondance que le premier président du zoo, Roger Leroux, entretient avec le docteur J.-A. Brossard, du zoo de Charlesbourg, montre comment les gens de Granby, malgré leurs bonnes intentions, étaient dépassés par l’immensité et la complexité de la tâche. En 1946, par exemple, on s’enquiert des façons de nourrir et garder un raton laveur ; deux ans plus tard, on paraît tout ignorer des habitudes de vie des marmottes, des porcs-épics et des moufettes. Dans ces conditions où la bonne volonté tient lieu du savoir-faire le plus élémentaire, les incidents malheureux sont inévitables et se multiplient.

Cerfs du zoo de Granby

Carte postale des premières années du zoo. (Fonds Clinton D. Porter, SHHY)

La Revue de Granby, moins discrète que La Voix de l’Est sur la question, évoque les problèmes du zoo et leurs graves conséquences. Nourriture inadéquate, souvent limitée à du pain brun, exiguïté des cages, incompétence du personnel, la liste des reproches est exhaustive. Celle des décès douteux ne l’est pas moins : entre 1950 et 1953, la lionne Parma trépasse d’une fièvre rhumatismale, un ourson est dévoré par ses congénères, deux aigles se battent à mort, un castor s’enfuit et deux singes décèdent apparemment sans raison. Si une société protectrice des animaux existait à Granby, affirme l’hebdomadaire, il y a longtemps qu’elle aurait dénoncé la situation.

Sous l’accumulation des malheurs et des difficultés, le zoo, de source de fierté mobilisatrice qu’il était au lendemain de la guerre, a tôt fait de se transformer en fardeau et même en embarras pour les citoyens de Granby. De telle façon qu’à compter de 1949, le maire Boivin demandera incessamment au gouvernement provincial d’en assumer l’administration et le financement complet. Mais le gouvernement de l’Union nationale, sauf pour une maigre subvention annuelle, restera sourd aux échos d’une ville dont le maire et son entourage sont si clairement identifiés aux libéraux. Par ailleurs, la popularité grandissante du zoo empêche de songer sérieusement à le saborder.

La société zoologique de Granby

Alors que même les plus optimistes commencent à douter, la Société zoologique, fondée en 1953, réussit à relancer l’expérience sur de nouvelles bases en réinstallant la centaine d’animaux du zoo sur un vaste terrain cédé par la paroisse Notre-Dame. La conception des plans de ce qu’il convient maintenant d’appeler le Jardin zoologique est confiée aux architectes Paul-O. Trépanier et Gilles R. Bélanger, qui les présentent au public en 1954. Ils prévoient de meilleurs aménagements pour les cages et les terrains des animaux, à propos desquels on fournit désormais des renseignements sur les moeurs et l’habitat. Au centre du Jardin zoologique, on crée une aire de divertissement pour les enfants qui, par la suite, ne cesse de prendre de l’envergure. Finalement, les autorités du zoo imposent, les samedis et les dimanches, un prix d’entrée de 25 cents aux adultes, qui composent environ la moitié de la clientèle. En quelques mois, ces initiatives propulsent Granby au rang des destinations touristiques majeures du Québec, et même du Canada.

zoo de Granby

© Au cours des années 1950, la télévision naissante et le Jardin zoologique travaillent souvent de concert. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

Les intérêts du Jardin zoologique et ceux de la télévision naissante s’accordent rapidement : le premier cherche à se faire connaître, la deuxième est avide d’images spectaculaires. Mais pour que la fusion se réalise, le zoo doit regarnir sa ménagerie d’animaux exotiques, un objectif difficilement réalisable avec un maigre budget annuel de 50 000 $. Ce problème, en apparence insoluble, trouve sa réponse dans la notoriété internationale du maire Horace Boivin.

Horace Boivin et les animaux

Mettant à profit quelques-unes de ses relations amicales et armé d’un discours qui met l’accent sur le développement de l’amitié entre les peuples par l’échange d’animaux, le maire Boivin parvient à convaincre le zoo de Londres de donner à Granby des zèbres, un léopard, des pingouins, un chameau et 25 espèces d’oiseaux. Dans les mêmes circonstances, il obtient des cygnes de Genève, des antilopes du Congo et un rhinocéros des États-Unis, tandis que le zoo de Paris accepte d’échanger un chimpanzé contre deux ours noirs. En fait, au cours de cette période, le Jardin zoologique, toujours à l’affût d’une bonne occasion, demeure en relation constante avec les zoos de Paris, Londres, Toronto, Victoria, New York, Washington, Cleveland, Philadelphie, Chicago et Détroit. De surcroît, pour remercier le maire Boivin d’avoir favorisé une réconciliation rapide avec l’Allemagne après la guerre, le capitaine Kempf, de la Poseidon Line, prend à sa charge le transport des animaux d’Europe jusqu’à Montréal. Chaque fois qu’un navire de la Poseidon accoste au port avec à son bord un lion, un tigre ou une girafe, on s’assure de la présence des médias.

© Gustave en compagnie du gouverneur général du Canada, Vincent Massey, lors de l’inauguration du Jardin zoologique, le 28 mai 1955. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

Un girafeau, zoo de Granby

© Un girafeau débarque d’un des navires de la Poseidon Line. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

Certains des animaux du Jardin zoologique favorisent grandement sa renommée. Les nouveaux-nés de toutes les espèces s’attirent toujours les faveurs du public, mais il faut généralement un nom, une histoire et quelques apparitions à la télévision pour atteindre le statut d’animal vedette. Intelligent, astucieux et amuseur public de premier ordre, le chimpanzé Gustave est de ceux qui y arrivent. Parfois, c’est l’histoire de l’animal qui fascine, comme dans le cas du premier éléphant du zoo, Ambika, qu’une pétition des enfants de Granby au premier ministre Nehru, de l’Inde, permet d’obtenir en 1955. Quant au gorille Mumba, enlevé aux soins de sa mère dans une forêt du Cameroun pour participer à l’émission La vie qui bat de Radio-Canada, en 1961, puis placé dans une famille de Granby qui le traite comme s’il s’agissait d’un enfant, plus de cent journaux à travers le Canada vont en faire le plus célèbre pensionnaire qu’ait connu le Jardin zoologique.  Lorsque la mort viendra le chercher, près de cinquante ans plus tard, Mumba n’aura rien perdu de sa popularité.

Une attraction touristique majeure

Le Tivoli

© Le Tivoli, un centre d'amusement pour les petits. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

En 1960, à force d’investissements, de sollicitation et de publicité, le Jardin zoologique de Granby compte 350 animaux, dont 65 espèces de mammifères et une vingtaine d’espèces d’oiseaux ; les singes, toujours populaires auprès du public, sont une quarantaine de 10 espèces. Le nombre des visiteurs par saison frôle alors les 600 000. Selon La Tribune de Sherbrooke, le gros de cette clientèle viendrait des familles ouvrières de Montréal, de plus en plus motorisées, et des néo-Canadiens. Un millier d’emplois indirects ou temporaires dans les secteurs de la restauration, de l’hébergement et de l’entretien automobile dépendrait de cet achalandage.

La ferme des enfants, zoo de Granby

© La ferme des enfants, inaugurée en 1963. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

Malgré tous ses succès, pourtant, le Jardin zoologique n’arrive plus à augmenter ses revenus et sa situation financière devient précaire.  Inutile d’espérer une aide supplémentaire du gouvernement provincial, qui a choisi de favoriser le zoo de Charlesbourg. Comme une hausse trop rapide du prix d’entrée aurait pour effet de réduire l’affluence, la Société zoologique choisit plutôt d’augmenter les revenus complémentaires des restaurants, des kiosques de souvenirs et du parc d’amusement Tivoli.

dôme géodésique

© Le maire Horace Boivin et l'architecte Paul-O. Trépanier lors de la construction du dôme géodésique. (Fonds Société zoologique de Granby, SHHY)

En 1962, afin de soutenir l’intérêt du public, on demandera une nouvelle fois à Paul-O. Trépanier de refaire l’aménagement du Jardin zoologique. Une des pièces maîtresses de ces rénovations sera la construction d’un dôme géodésique pour les ours polaires, inauguré en juillet 1963. Après avoir surmonté les incertitudes des débuts et s’être hissé à force de bras au rang des attractions majeures au Canada, le zoo de Granby était désormais en mesure d’affronter les défis posés par la nouvelle société des loisirs issue de la Révolution tranquille.

Mario Gendron

© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Révolution tranquille et révolution communautaire à Granby

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Au cours de la Révolution tranquille, avec la prise en charge par l’État du système de santé et de l’ensemble des services sociaux essentiels, qu’on regroupe au sein du ministère des Affaires sociales en 1970, c’est tout le domaine des œuvres de bienfaisance et de la philanthropie qui doit se réorganiser. La générosité et le bénévolat gardent cependant toute leur pertinence, puisque les mesures de protection étatique établies au cours de cette période de changement sont loin d’endiguer la pauvreté et la détresse sociale. Par ailleurs, de nouvelles réalités, comme la transformation de la condition féminine et le vieillissement de la population, donnent des raisons d’être supplémentaires à l’action communautaire. Si bien que la période de la Révolution tranquille se caractérise par le foisonnement d’associations et d’organismes voués au soutien des plus faibles et des plus démunis, là où, hier encore, on ne trouvait que les Sœurs Auxiliatrices, la Saint-Vincent-de-Paul, les Chevaliers de Colomb, les clubs Kiwanis ou Richelieu.

Centre d’action bénévole, Granby

Le Centre de bénévolat de Granby, qui devient le Centre d’action bénévole en 1986, est créé à l’instigation de sœur Rachel Payment. La Popote roulante, l’un des services mis en place par le Centre, distribue 4 553 repas en 1984. Ici, la directrice du centre, « Mimi » Duhamel s’adresse aux aînés lors d’un repas offert à l’occasion de Noël 1979. (Fonds Jeannot Petit, SHHY)

Finalement, ce sont les ressources bénévoles du milieu, consacrées comme jamais aux problèmes de santé et d’aide sociale, qui permettent au concept d’État-providence de prendre tout son sens.

Évincée de ses secteurs d’intervention traditionnels, l’Église demeure très présente dans le milieu des œuvres sociales ; elle doit cependant réorganiser son action en fonction des nouvelles réalités. Par exemple, ce sont les Sœurs Auxiliatrices, entourées de  laïques, qui mettent sur pied le Centre de bénévolat de Granby, en 1966. L’organisme, subventionné par la Fédération des œuvres du diocèse de Saint-Hyacinthe, a pour but de planifier l’action des bénévoles, les référant aux associations d’entraide où leur présence s’avère le plus nécessaire ; il offre aussi de l’aide familiale, un service d’escorte, des visites à domicile, parmi d’autres bienfaits.

Le Jardin de Pipo

Kermesse du Jardin de Pipo, en 1975. Cet organisme, qui offre des activités aux jeunes handicapés, est créé en 1968, par un groupe de jeunes, avec l’appui du Centre de bénévolat. (Fonds Jeannot Petit, SHHY)

Le Centre de bénévolat1 contribue, en outre, à la mise sur pied de plusieurs organismes d’entraide, comme le Jardin de Pipo (1968), une garderie pour les jeunes handicapés, la Popote roulante, qui distribue des repas à domicile à des personnes en perte d’autonomie, et Carrefour Entraide (1983), un comptoir alimentaire qui deviendra SOS Dépannage en 1987.

En 1961, Granby est la quatrième ville canadienne à accueillir les Disciples d’Emmaüs, une œuvre de l’Abbé Pierre. Grâce à l’opération d’un comptoir de vêtements et de meubles usagés et à la récupération de carton et de tissus, l’organisme procure des logements salubres aux familles nombreuses et peu fortunées. Après la fermeture du comptoir de Granby, en 2000, les Disciples d’Emmaüs, autrefois si populaires, ne compteront plus que deux établissements au Canada.

C’est pour aider des jeunes travailleurs en difficulté temporaire que la Jeunesse ouvrière chrétienne JOC) fonde l’auberge Sous mon toit. Ici, plusieurs jeunes devant le centre administratif de la JOC, le Relais du jeune travailleur, sur la rue Notre-Dame. (Fonds Jeannot Petit, SHHY)

Au cours de la décennie 1970, l’action des groupes populaires, le réveil des femmes et l’influence des mouvements de gauche donnent naissance à une nouvelle catégorie d’organismes voués à la défense des droits des travailleurs, à l’éducation en milieu défavorisé et à la condition féminine. L’auberge Sous mon toit, fondée en 1971 par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) dans le but d’offrir un gîte temporaire aux jeunes travailleurs en difficultés, relève de cette nouvelle prise de conscience sociale et politique. C’est dans la même perspective que sont fondés le Comité d’entraide aux jeunes travailleurs de Granby et le Conseil d’entraide régional et familial de l’Estrie. Quant à l’entraide économique, elle s’organise autour du mouvement coopératif : Club coopératif de consommation des travailleurs de Granby, Association coopérative d’économie familiale (ACEF), Coopérative régionale des consommateurs de la Haute-Yamaska, pour ne mentionner que quelques regroupements.

Comité locale d'action féminine

À l’occasion de l’Année internationale de la femme, en 1975, un groupe de femmes de Granby organise des événements et des rencontres tout au long de l’année. Par la suite, plusieurs de ces femmes se mobiliseront pour créer le Comité local d’action féminine (CLAF ) qui deviendra Informaction femme. Sur la photo, de gauche à droite : Andrée Feeley, Ginette Laurin, Ghislaine Racine, Louise Girardot, Françoise Decroc, Pierrette Lafleur et Simone Ruel. (Fonds Jeannot Petit, SHHY)

L’organisation des groupes d’entraide pour femmes prend sa source dans la révolution féministe  qui débute à la fin des années 1960. Déjà, en 1966, lors de sa création,  l’Association féminine pour l’éducation et l’action sociale (AFEAS), issue de la fusion des Cercles d’économie domestique et de l’Union catholique des fermières, adopte des points de vue et propose des solutions d’avant-garde pour aider ses membres à prendre leurs responsabilités de femmes et de citoyennes, et pour les inciter à participer à la vie communautaire2. Dans un esprit plus large, Informaction femme, née en 1976, soit un an après l’Année internationale des femmes, se donne pour but « de promouvoir le développement humain des femmes pour les amener à se réaliser pleinement [et] de les informer des ressources disponibles dans leur milieu »3 ; ce sont des membres de la même association qui, quelque temps plus tard, organiseront le centre pour femmes Entre-elles. Toujours pendant les années 1970, l’ouverture de la garderie le Grand chapiteau et la fondation de l’Association des familles monoparentales rend compte des réalités que la femme moderne doit maintenant affronter.

Le journal Le Grégaire, organe d’information du GOPG, voit le jour en juin 1977. Sa mission est de «permettre aux organismes de se faire connaître, de communiquer entre eux et avec tous les citoyens de Granby.» Le Grégaire vol. 1, no 1, p.1. (Fonds Paul O. Trépanier, SHHY)

En 1975, une vingtaine d’associations de la ville décident de rompre leur isolement et d’augmenter considérablement leur pouvoir d’intervention en se réunissant sous la direction du Groupement des organismes populaires de Granby ; un an et demi plus tard, le journal Le Grégaire, qui est publié à 5 000 exemplaires, fera  mieux connaître les réalisations et les objectifs du Groupement. La télévision communautaire (TVC), qui commence à diffuser ses émissions en 1977, devient elle aussi un outil efficace dans la lutte que mènent tous les organismes d’entraide de Granby au nom des plus vulnérables et des plus démunis de la société.

Le champ d’intervention du milieu communautaire sera encore appelé à s’élargir au cours des années 1980, à la suite, entre autres, de la crise de 1982 et du retrait progressif du gouvernement de certains programmes sociaux. Si bien qu’au mitan des années 1980, lorsque les gouvernements seront préoccupés d’assainir les finances publiques, et que la Révolution tranquille sera bel et bien terminée, il reviendra aux associations et organismes locaux d’entraide de perpétuer une part importante de l’héritage de ces années généreuses.

  1. Centre d’action bénévole de Granby, Granby, 1986, 32 p.
  2. Rita Therrien et Louise Coulombe-Joly, Rapport de l’AFEAS sur la situation des femmes au foyer, Montréal, Boréal Express, 1984.
  3. Société d’histoire de la Haute-Yamaska, Fonds Paul-O. Trépanier, Le Grégaire, juin 1977, vol. 1 no 1.

Johanne Rochon, Au rythme de la Révolution tranquille, 1964-1985 dans Mario Gendron, Johanne Rochon et Richard Racine, Histoire de Granby, Granby, SHHY, 2001, 512 p.

CHEF 1450, animateur de la vie culturelle

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C’est en mars 1946 que l’indicatif « Ici CHEF Granby, un des postes de la radio française du Québec » est entendu pour la première fois en région.  Jusqu’à l’introduction massive de la télévision dans les foyers, au milieu des années 1950, la radio granbyenne sera à l’image de l’effervescence qui caractérise l’après-guerre : dynamique, frondeuse, originale, tournée vers le monde tout en demeurant bien ancrée dans le terrain régional. L’intérêt de la radio locale pour la culture des gens d’ici est d’autant plus à-propos que les résidants des campagnes pourront, eux aussi, capter la « voix progressive des Cantons-de-l’Est » grâce à l’électrification rurale, débutée en 1945.

La discothèque du poste CHEF

© La discothèque du poste CHEF révèle les goûts musicaux des auditeurs. En 1956, sur plus de 15 000 disques 78 tours qu’on y retrouve, 200 sont consacrés aux œuvres classiques, 2 000 à la musique semi-classique, 9 000 aux succès américains et 4 000 aux chansons d’expression française, mais 500 seulement à la musique populaire canadienne. Maurice Dubois, Wilfrid Lemoyne et Jean-Pierre Comeau dans la discothèque de CHEF. (Fonds Pierrette Robichaud-Lafleur, SHHY. Photo : Studio Granby, ca 1948)

Après avoir vécu un quart de siècle sous la tutelle radiophonique des postes montréalais — CKAC ouvre en 1922 —, CHEF se révèle un lieu d’expérimentation extraordinaire pour les jeunes d’après-guerre remplis d’ambition. Du reste, pour ceux qui fourbissent leurs armes dans le domaine des arts et de l’animation, les occasions de se mettre en valeur ne manquent pas. Jean-Pierre Comeau, par exemple, qui travaille au poste depuis son ouverture jusqu’en 1949, y exerce les fonctions de chanteur, comédien, discothécaire, réalisateur et annonceur; il en va de même pour plusieurs artisans de la radio locale. C’est grâce à eux, à la force de leurs idées et à leurs initiatives originales, si CHEF a pu échapper l’influence uniformisante des façons de faire montréalaises. D’un autre côté, qui peut présumer ce qu’auraient été les carrières de Wilfrid Lemoyne, de Marie et Marcelle Racine, de Roger Matton et de combien d’autres sans la poussée de départ de la radio granbyenne ?

Selon une étude réalisée en 1949, c’est la musique sous toutes ses formes qui domine la programmation de CHEF, accaparant 60 % du temps d’antenne. L’éventail des genres recouvre une vingtaine d’émissions quotidienne d’une durée de 10 minutes à une heure consacrées à la musique militaire, aux airs semi-classiques, à la chansonnette française, au bal musette, à la comédie musicale, à la musique symphonique, au swing, aux chansonniers, aux music hall et aux concerts. CHEF conclut sa journée avec la Tournée des cabarets dansants et, tous les samedis soirs, le poste diffuse en direct de la musique de danse de l’un des grills de Granby ou de la région.

Pierrette Lafleur

© Tout au long de sa carrière, Pierrette Lafleur, sans doute la voix la plus familière de l’histoire de CHEF, agira comme journaliste et intervieweuse, faisant mieux connaître à ses auditeurs des artistes aussi prestigieux qu’Édith Piaf, Fernandel et Mathé Altéry. (Fonds Pierrette Robichaud-Lafleur, SHHY)

Au cours des années 1950, l’émission la plus écoutée du poste granbyen est Musique de chez nous qui, tous les dimanches de midi à 14 h 30, diffuse des airs choisis par le public et transmet des souhaits de santé, de bon anniversaire et des messages amicaux. Avec le Club 1450, CHEF cherche à rejoindre un public plus jeune en diffusant quotidiennement du be bop et du swing américains. Lorsque la télévision lui arrache une partie de son auditoire, le Club 1450 se transforme en réplique radiophonique de la populaire émission télévisée Le club des autographes; chaque semaine, CHEF y invite la jeunesse à « danser et s’amuser dans une ambiance saine, enthousiaste, tout ce qu’il y de plus “métroplole” ».

Roger Matton

Roger Matton, en compagnie du contre bassiste Roger Martel et du guitariste Réal Charland, anime La Caravane musicale, diffusée quotidiennement à CHEF. (Fonds Pierrette Robichaud-Lafleur, SHHY, 1947)

CHEF fut une véritable pépinière pour les artistes locaux de tous les domaines, qu’ils soient musiciens, chanteurs, hommes ou femmes de théâtre. Ayant à cœur l’éclosion de leurs talents, la radio met successivement en ondes Nos vedettes locales, La parade des amateurs et Nos talents en revue, des émissions qui rediffusent les concours d’amateurs qui se déroulent chaque semaine au parc Miner depuis 1942; Sur le boulevard de la chanson, La caravane musicale Miner Rubber et L’heure municipale servent aussi à la démonstration des aptitudes locales. En 1948, un grand concours de popularité organisé par CHEF à l’intention des amateurs les fait mieux connaître. Parmi les 21 femmes compétitrices, on retrouve surtout des chanteuses populaires et classiques, des pianistes et des accordéonistes, tandis que chez les hommes, 20 en tout, le talent s’exprime par le chant classique et la musique country-western, la guitare et le violon.

D’un point de vue créatif, l’apport le plus original de CHEF fut sans doute la mise en ondes d’un radio-théâtre hebdomadaire, diffusé de 1947 à 1952. Au départ, les comédiens de CHEF y jouent des textes comiques ou dramatiques écrits par des auteurs de Montréal ou d’ailleurs, mais on leur préfère bientôt des créations locales, notamment celles du jeune poète Wilfrid Lemoyne. Sous le nom de la Troupe aux étoiles, le petit groupe d’artistes se spécialise dans des drames et des comédies en un acte. En plus d’une diffusion hebdomadaire qui, fait rare, se prolonge cinq ans, la troupe produit parfois des émissions théâtrales spéciales, comme à Noël ou à Pâques. L’instabilité du personnel tout autant que la menace télévisuelle interrompt l’expérience en 1952.

Comédiens du radio-théâtre à CHEF

© Comédiens du radio-théâtre hebdomadaire présenté sur les ondes de CHEF. De gauche à droite : Jean Riendeau, René Lachapelle, Thérèse Fournier, Jean Daviau, Wilfrid Lemoyne, Pierrette Robichaud-Lafleur, Jean-Pierre Comeau et Pierre Boutet, en 1947. (Fonds Pierrette Robichaud-Lafleur, SHHY)

Avant la création de CHEF, la vie culturelle régionale se trouvait limitée dans son développement par l’absence de moyens de communication modernes et efficaces. En ce sens, le poste de radio local aura été un phare dans la nécessaire recherche d’une identité régionale. Quant à la joie de vivre et à la liberté d’expression qui emportent le personnel de CHEF au cours des premières années d’existence du poste, elles laissent à penser que la « grande noirceur » qui a caractérisé le règne de Maurice Duplessis et de l’Union nationale laissait tout de même filtrer un peu de lumière.

Mario Gendron

©Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Le hockey à Granby

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© Société d'histoire de la Haute-Yamaska

Divertissement hivernal par excellence, le hockey est intimement associé à la vie granbyenne et régionale, et ce, depuis la fin du XIXe siècle. Jusqu’à l’installation d’une glace artificielle à l’aréna de la rue Court, en 1947, la pratique du sport est tributaire de la température. Mais lorsque les conditions le permettent, patins, bâtons et rondelles reprennent vite le chemin des patinoires et les soirées hivernales retrouvent leur animation. On joue pour l’équipe des Loisirs, dans la ligue Dépression ou des Manufactures, on applaudit les Maroons, les Vics ou les Bisons, on encense les héros locaux, les Fred Thurier et autre « Peanut » St-Onge : on vit son hockey et on traverse l’hiver tout à la fois.  M.G.

Auteurs: Marie-Christine Bonneau et Mario Gendron

 

Diaporama: Le hockey à Granby

 

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Centres commerciaux vs rue Principale

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La rue Principale au début des années 1960. (Collection Jean-Guy Lussier)

© La rue Principale, au niveau de la rue Gill. (Collection Jean-Guy Lussier)

En progression constante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la société de consommation atteint des sommets après 1960. Parmi les facteurs qui favorisent la croissance phénoménale du commerce au cours de la Révolution tranquille, on trouve l’augmentation du salaire hebdomadaire moyen, qui passe d’une soixantaine de dollars à près de quatre cents entre 1960 et 1984, et la croissance du travail féminin, deux éléments qui gonflent les revenus des ménages et augmentent d’autant leur pouvoir d’achat, surtout dans le contexte de la généralisation du crédit à la consommation. L’augmentation du nombre des commerces de détail de Granby reflète bien cette effervescence : de 398 en 1960, leur nombre grimpe à 908 en 1979, ce qui comprend 25 grands magasins et 3 centres commerciaux.

Au coin des rues Saint-Jacques et Principale (le bureau de poste devenu bibliothèque municipale sera démoli en 1973). (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

Au coin des rues Saint-Jacques et Principale (le bureau de poste, devenu bibliothèque municipale, sera démoli en 1973). (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

© L'animatrice de la vie commerciale

© La rue Principale au début des années 1960. (SHHY, Fonds Jean-Paul Matton)

La rue Principale

© Animatrice de la vie commerciale à Granby, à droite le restaurant Belval. (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

Avec la prolifération des centres commerciaux, qui passent de 55 à 223 au Québec entre 1961 et 1975, la société de consommation se donne des moyens à la mesure de ses ambitions. Entre 1964 et 1974, la construction des centres commerciaux Frontenac, Plaza et Les Galeries montre l’intérêt des consommateurs de Granby et de la région pour ce nouveau concept commercial d’origine américaine. Si cette innovation dans la manière de consommer s’attire les faveurs du grand public, elle n’est pas sans conséquence sur le destin de la rue Principale qui, jusque-là, était l’animatrice de la vie commerciale.

Le centre commercial Frontenac, boulevard Leclerc, lors de son ouverture, en octobre 1965. (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

© Ouverture du magasin Lasalle, du centre commercial Frontenac, boulevard Leclerc, lors de son ouverture, en octobre 1965. (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

En 1963, l’annonce de la construction du centre commercial Frontenac, sur le boulevard Leclerc, soulève l’opposition des marchands de la rue Principale qui appréhendent de perdre une partie de leur clientèle et de leur chiffre d’affaires. Leur acharnement convainc finalement les autorités municipales d’organiser un plébiscite sur la question. Malgré une faible participation au scrutin (19 %), le jugement des citoyens, dont les trois quarts favorisent le projet, apparaît sans équivoque. Inauguré en 1965, le premier « centre d’achats » de Granby s’apparente cependant davantage à un bout de rue commercial pourvu d’un stationnement qu’aux vastes complexes intérieurs qu’on connaîtra par la suite.

Le centre commercial Plaza est inauguré le 14 juin 1966. Le Plaza compte une douzaine de magasins, dont Woolco et Dominion. (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

Le centre commercial Plaza est inauguré le 14 juin 1966. (SHHY, fonds Jean-Paul Matton)

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Le Plaza compte une douzaine de magasins, dont Woolco et Dominion. (SHHY, fonds La Voix de l’Est, photo Mario Beauregard)

C’est en 1966, avec l’ouverture du Plaza, sur la rue Saint-Jacques, que Granby accueille son premier véritable centre commercial. Il permet aux consommateurs d’avoir accès à 13 commerces sous un même toit, à l’abri des intempéries ; à elle seule, Woolco, une entreprise américaine qui a choisi Granby pour s’implanter au Québec, engage une centaine d’employés. Lors de l’inauguration, le maire Paul-O Trépanier prévoit que « cet immense centre d’achats », ajouté aux autres établissements commerciaux de tous les coins de la ville, contribuera à faire de Granby le centre régional du magasinage.

Parce qu’ils sont établis à proximité du centre-ville, les deux premiers centres commerciaux de Granby n’affectent pas trop le flot des achats sur la rue Principale. Mais c’est le pire des scénarios qui se réalise en 1974 avec la construction, aux limites de la municipalité, des Galeries de Granby, un vaste complexe abritant une quarantaine de commerces. Stationnement spacieux, aires de repos, cinémas, magasins à grande surface et boutiques : tout est conçu pour séduire le consommateur, plus sensible qu’autrefois aux attraits de la nouveauté et du changement. Par ailleurs, les résidants des nouveaux développements domiciliaires de banlieue et des municipalités environnantes constituent une clientèle de choix pour les marchands des Galeries.

Les Galeries de Granby sont inaugurées le 27 mars 1974. (SHHY, fonds La Voix de l'Est, photo Michel Paquet)

© L’inauguration des Galeries de Granby a lieu en mars 1974. (SHHY, fonds La Voix de l’Est, photo Michel Paquet)

L’établissement d’un second pôle commercial aux frontières de Granby a donc de graves conséquences sur l’économie de la rue Principale ; bientôt, les Canadian Tire, Reithman’s, Zeller’s l’abandonnent un à un, si bien que des six magasins à rayons qu’elle comptait encore en 1965, il n’en reste plus qu’un en 1979. Dans le sillage du départ des grands commerces, de nombreux restaurants, marchés d’alimentation et boutiques cessent ou transfèrent ailleurs leurs activités. Plusieurs professionnels, entre autres des médecins, délaissent également le secteur de la rue Principale pour ouvrir des cliniques en périphérie. Ainsi, en moins de deux décennies, la rue Principale qui, hier encore, était au cœur de la vie commerçante et sociale de Granby, et où, tous les vendredis soirs et les samedis se rassemblaient en masse consommateurs et badauds, se trouve vidée de ses forces vives, laissant ses marchands désemparés face aux attitudes nouvelles de leur clientèle.

 Johanne Rochon, « Au rythme de la Révolution tranquille » dans Gendron Mario, Johanne Rochon et Richard Racine, Histoire de Granby, Granby, Société d’histoire de la Haute-Yamaska, pages 398-402.

© Société d’histoire de la Haute-Yamaska

Une usine de bombes fumigènes à Granby

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En Europe, la Deuxième Guerre mondiale fait rage depuis 1939. Engagée dès le début du conflit, la Grande-Bretagne multiplie les efforts pour enrayer l’expansion allemande; en mars 1942, elle demande au Canada de participer à l’effort de guerre, notamment par la fabrication de matériel militaire. L’Histoire de Granby évoque les conditions locales de cette participation.

« À un moment ou à un autre, la plupart des industries de Granby s’engagent dans la production militaire. La Miner Rubber, par exemple, fabrique des masques à gaz, des toiles et des bottes de caoutchouc, tandis que l’Elastic Web, dont le nombre de travailleurs passe de 350 en 1938 à plus de 750 au cours du conflit, produit des toiles pour le camouflage, des harnais pour les parachutes et bien d’autre matériel de guerre. En 1942, la construction par la Allied War Supplies Corporation, une compagnie de la Couronne, d’une usine de bombes fumigènes sur la rue Maisonneuve permet l’embauche de 600 travailleurs. La gestion de cette usine est confiée à la Miner Rubber. La même année, l’organisme gouvernemental ouvre une petite manufacture d’hélices d’avions, la Granby Aircraft Corporation, dans l’édifice de l’entreprise Barré & Charron. »1

On comprend davantage le rôle et l’utilité du smoke generator lorsqu’on le voit fonctionner, comme ici. Source : Fonds du ministère de la Défense nationale, Belgium, 13 Oct. 1944, Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition 1967-052 NPC, numéro de la pièce (créateur) : 41533, numéro de reproduction a167998-v6.

On comprend davantage le rôle et l’utilité du Smoke Generator lorsqu’on le voit fonctionner, comme ici. (Fonds du ministère de la Défense nationale, Belgium, 13 Oct. 1944, Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition 1967-052 NPC, numéro de la pièce (créateur) : 41533, numéro de reproduction a167998-v6)

Les bombes fumigènes sont généralement utilisées soit pour masquer certaines positions stratégiques à l’adversaire, soit pour lui dissimuler des mouvements de troupes. En 1942, la Macdonald Chemicals Limited, de Waterloo, fabrique déjà ce type de bombes, mais l’entreprise ne peut pas répondre à elle seule à la demande britannique, qui se chiffre en millions d’unités. Comme la Miner Rubber prévoit, à la même époque, licencier du personnel en raison du manque d’approvisionnement en caoutchouc brut et que, de plus, elle possède un certain nombre de presses pouvant être adaptées à la production de bombes fumigènes, l’entreprise de Granby semble toute désignée pour combler les besoins militaires. Un incendie au Projet no 34 de Waterloo (Macdonald Chemicals), le 22 avril 1942, fait définitivement pencher la balance en faveur de la Miner Rubber.

Les installations de l'usine de bombes fumigènes, de la rue Guy, toujours en place, en 1950.

Les installations de l’usine de bombes fumigènes de la rue Maisonneuve, toujours en place, en 1950.

Au nom du ministère canadien de la Défense, le service des propriétés de la Allied War Supplies identifie, au début de mai 1942, des terrains près de la ville de Granby, au coût de 1.19 $ le pied carré, pour construire un nouveau complexe industriel. L’incendie de l’usine de la Macdonald Chemicals de Waterloo a fait réaliser aux responsables qu’il vaut mieux s’éloigner quelque peu des zones habitées. L’emplacement a aussi été choisi parce que la Ville de Granby s’est engagée à fournir à ses frais les services d’eau, d’aqueduc et d’égout et à construire un chemin en gravier jusqu’à la propriété. L’usine proposée pour le Projet no 45 serait la propriété unique et complète du gouvernement canadien et aurait une capacité de 350 000 bombes fumigènes de 2 pouces par mois, le processus complet de fabrication devant y être réalisé. Les coûts de la construction des bâtiments sont évalués à 149 000 $, alors qu’une somme de 194 000 $ est réservée pour l’équipement et la machinerie, pour un total de 343 000 $.

Construction de l’usine

Le terrain officiellement acquis le 23 mai 1942, la construction des bâtiments s’enclenche aussitôt et est complétée au cours de la troisième semaine de mai 1943. Les principaux entrepreneurs sont H. E. Bernier pour les bâtiments et H. J. Sorensen pour l’électricité, tous deux de Granby. Si la Miner Rubber est maître d’œuvre du chantier, c’est la Allied War Supplies qui supervise les travaux. Près d’une centaine de travailleurs, en majorité des charpentiers et des journaliers, œuvre à la réalisation du projet. Les horaires de travail et les salaires sont fixés par la National War Board. Ainsi, les charpentiers gagnent 60 cents de l’heure et les journaliers 35 cents.

Production de matériel fumigène

Deux produits distincts sont fabriqués à l’usine de munition de la Miner Rubber : une bombe fumigène de deux pouces (modèles Trench Mortar et Thrower) et le Smoke generator no 24 (dorénavant générateur de fumée no 24). Dans l’impossibilité d’en référer directement à un plan 2, il serait inutile de présenter ici une description détaillée de l’usine et des divers ateliers.

La bombe fumigène de deux pouces Trench Mortar. Source : http://www.warrelics.eu/forum/ordinance-ammo/british-2-red-smoke-mortar-shell-3346/

La bombe fumigène de deux pouces Trench Mortar. (http://www.warrelics.eu/forum/ordinance-ammo/british-2-red-smoke-mortar-shell-3346)

La Trench Mortar (mortier de tranchée) se compose d’un cylindre métallique de deux pouces de diamètre et de 5 ¾ pouces de longueur, surmonté d’une pointe avant en métal, à l’intérieur duquel on presse 17 onces d’un mélange fumigène de trois ingrédients, avant d’y ajouter l’allumage et le retardateur (delay assembly). L’autre extrémité de la bombe fumigène est scellée par un adaptateur sur lequel se trouve une queue à six ailettes. La partie centrale de la queue tubulaire possède plusieurs trous. Une cartouche de 50 grains, insérée dans la queue de l’engin, est retenue en place grâce à un couvercle troué, orifice par lequel l’artificier peut procéder à la mise à feu. À ses débuts, cependant, l’usine fabrique surtout la bombe Thrower, utilisée par les chars d’assaut et autres véhicules blindés. Ce type de bombe fumigène est de la même catégorie que la Trench Mortar, sauf que la Thrower n’exige pas de retardateur.

Cette photo permet de voir les contenants du Smoke Generator no 24, identiques à ceux produits à l’usine de munition de la Miner Rubber. Source : Fonds Office national du film du Canada, Division de la photographie, Montréal (Québec), mai 1944. Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition 1971-271 NPC, numéro de la pièce (créateur) : WRM 4493, numéro de reproduction e-000762140.

Cette photo permet de voir les contenants du Smoke Generator no 24, identiques à ceux produits à l’usine de munition de la Miner Rubber. (Fonds Office national du film du Canada, Division de la photographie, Montréal (Québec), mai 1944. Bibliothèque et Archives Canada, numéro d’acquisition 1971-271 NPC, numéro de la pièce (créateur) : WRM 4493, numéro de reproduction e-000762140)

Le générateur de fumée no 24 se présente sous la forme d’un contenant d’environ 8 pouces de diamètre et de 12 pouces de hauteur qui renferme 34 livres d’un mélange de poudres. Ce réceptacle se termine à une extrémité par un embout vissé. Le mélange d’ingrédients fumigènes se compose d’hexachloroéthane, de siliciure de calcium, d’oxyde de zinc et de nitrate de potassium. Ces produits sont conservés en vrac dans les bâtiments attenants à ceux réservés à la fabrication du générateur de fumée. Puisqu’il ne s’agit pas d’un projectile, les composants fumigènes sont versés dans le contenant puis comprimés successivement. Selon le type de matériel fumigène utilisé, le contenant pouvait peser entre 32 et 36 livres.

Main-d’œuvre et salaires

L’ensemble du personnel de l’usine de bombes fumigènes vient essentiellement de la région de Granby. Quant au noyau dur de cette main-d’œuvre, il est constitué d’employés de la Miner Rubber qui, précédemment, œuvraient à la fabrication de produits en caoutchouc. La majorité de ces ouvrières et ouvriers, dont le nombre atteint respectivement 75 et 200 entre 1942 et 1945, ont déjà l’expérience du travail en usine.

En 1943, le salaire horaire des employés de la fabrique de munitions de la Miner Rubber est de 43 cents pour les hommes et de 33 cents pour les femmes. À la suite d’un arrêt de travail, en août 1943, les salaires sont majorés : 45 cents l’heure pour les hommes, 35 cents pour les femmes.  Selon le rapport de la Allied War Supplies Corporation, il s’agit des salaires les plus élevés autorisés par la Regional Labour Board.

Pour vérifier l’importance des salaires des ouvriers œuvrant à la fabrication de munitions, comparons-les à ceux attribués en 1942 aux ouvriers de la Miner qui travaillent à la fabrication des produits en caoutchouc dans différents ateliers.

  • Ouvriers de l’atelier mécanique (Machine shop), entre 38 et 55 cents l’heure;
  • Ouvriers de la coat bay, entre 25 et 36 cents l’heure;
  • Ouvriers du spreader, entre 32 et 36 cents l’heure;
  • Ouvriers lasters bay, entre 32 et 36 cents l’heure 3.

Cette comparaison indique que si le salaire des hommes travaillant à l’usine de munitions se situe nettement en haut de l’échelle, avec plus de 40 cents l’heure, celui des femmes s’avère assez semblable à celui payé dans l’usine de caoutchouc.

Notes sur les relations de travail

Durant la Deuxième Guerre mondiale, selon la législation canadienne sur les prix et les salaires : « Toute grève est interdite avant la fin d’une période obligatoire de conciliation. » 4 Malgré tout, de 1941 à 1944, le nombre annuel des débrayages est presque quatre fois plus élevé qu’au cours de la décennie précédente 5. L’année 1942 marque un sommet au Québec, avec 133 arrêts de travail. Par ailleurs, en 1943, le recrutement de main-d’œuvre féminine connaît des problèmes au sein des usines de munitions. 6 Mais à Granby, le manque de main-d’œuvre est généralisé.

Le 5 avril 1943, un ouvrier de l’usine de munitions de la Miner Rubber, Exhurie Ménard, incite les autres travailleurs à ralentir la production. Accusé d’avoir nui à l’effort de guerre, il est aussitôt renvoyé par la direction de l’usine et, après une enquête de la GRC, il est poursuivi en justice. Le procès se tient à Sweetsburgh (Cowansville) et le verdict est établi en faveur du travailleur.

Quelques mois plus tard, le 4 août 1943, les employés de l’atelier de presse (press room) arrêtent le travail, exigeant une augmentation de 5 cents l’heure. Ils retournent cependant aussitôt au travail, après avoir obtenu l’engagement de la direction de l’entreprise d’obtenir une augmentation de 2 cents dès le lendemain.

Robert Nahuet, archiviste à Bibliothèque et archives Canada



  1. Mario Gendron, Johanne Rochon, Richard Racine, Histoire de Granby, Granby, Société d’histoire de la Haute-Yamaska, 2001, p. 229-230. À la page 503, note 11, on peut lire aussi : « La production de guerre ayant parfois des exigences particulières, l’École des arts et métiers dispense, à partir de septembre 1943, des cours techniques pour les besoins des industries locales. Les cours sont offerts aux hommes et aux femmes non assujettis au service militaire. À ce propos, voir La Voix de l’Est du 3 février, 14 avril et 26 mai 1943. »

    carte de l’usine, alors à L’état de projet, sur laquelle on dénombre 45 bâtisses. (SHHY, fonds Miner Rubber)

    Partie de la carte de l’usine, alors à l’état de projet, sur laquelle on dénombre 45 bâtisses. (SHHY, fonds Miner Rubber)

  2. La SHHY possède une carte de l’usine, alors à l’état de projet, sur laquelle on dénombre 45 bâtisses; cependant, un rapport de la Allied War Supplies en identifie 52. Plan showing two inch smoke bomb plant – Miner Rubber Company Limited – Allied War Supply CorporationProject no. 45 Granby, Quebec. Granby, Quebec, June 10, 1942. Plan layout: by Ralph P.H. Allan. Relayed out by: Leon Desrochers, Civil Engineer, Quebec Land Surveyor.
  3. Source : Fonds de la Miner Rubber Company Limited, Pay Roll, Octobre 1942. Ledger A-91 (vérifié 20130703), Société d’histoire de la Haute-Yamaska.
  4. 150 ans de lutte. Histoire du mouvement ouvrier au Québec, 1925-1976. Montréal, CSN-CEQ, 1979, p. 103.
  5. idem
  6. The labour Gazette for the year 1943, vol. XLIII, Ottawa, Edmond Cloutier King’s Printer, 1944, p. 135.

Le lac Boivin, 1815-1980

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Texte intégral de l’exposé fait par Mario Gendron, lors de la Consultation publique sur l’avenir du lac Boivin, tenue au cégep de Granby, le 3 mai 2014. Monsieur le maire, Mesdames, messieurs, D’après les documents que j’ai consultés dans le cadre de cette recherche, le lac Boivin atteindra l’âge vénérable de deux cents ans l’année […]

Le panier de fruits et légumes à Granby (1941)

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En cette période de récolte, un extrait de journal a refait surface dans nos archives. L’article, paru dans La Voix de l’Est en mai 1942, présente le sommaire d’une importante étude sur le commerce de plusieurs produits agricoles, réalisée par le ministère de l’Agriculture auprès de tous les détaillants et grossistes en alimentation de Granby. […]

Le soldat Réal Galipeau revient de guerre

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Il est difficile aujourd’hui d’imaginer toutes les privations et les souffrances qu’ont dû endurer les soldats qui, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, étaient partis outre-mer combattre le nazisme. Parmi ceux qui ont la chance de revenir de cette périlleuse mission, on trouve le quartier-maître Réal Galipeau, des Fusiliers du Mont-Royal, un « p’tit gars » […]
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